mercredi 27 mars 2013

Retour à Outreau, de Jacques Thomet

 A l'heure où le juge d'instruction Gentil déchaîne les envolées hystérico-lyriques d'un certain nombre de personnalités politiques et médiatiques, je me suis dit qu'il était peut-être pertinent de se replonger dans une affaire qui avait également abouti au lynchage public d'un autre juge. Pas de scandale politico-financier, mais un sujet autrement plus sordide puisqu'il sera question de la fameuse Affaire d'Outreau, passée à la postérité comme étant un des plus gros fiascos judiciaires de notre pays. Contrairement à nos habitudes, nous nous intéresserons donc à un essai (une première pour ce blog), en l'occurrence à la contre-enquête menée par la journaliste Jacques Thomet, publiée par les éditions Kontre Kulture.

Dans l'imagerie populaire, Outreau rime bien avec fiasco. Le procès qui s'annonçait monstre (à l'image de ce que sera l'affaire du réseau d'Angers) débouchera sur un acquittement massif, sur la décrédibilisation de la parole de l'enfant et, au-delà du cas Burgaud, à la remise en cause de la fonction-même du juge d'instruction. Rien de neuf sous le soleil, mais il faut bien partir de ce constat pour comprendre la démarche de Jacques Thomet dont la posture initiale ne le distinguait pas du quidam convaincu des excès d'un petit juge perdu et d'enfants retords. Alors qu'est-ce qui a fait la différence dans son esprit ? Tout simplement la lecture des 30 000 pages du dossier de l'instruction, complétée ultérieurement par un travail d'entretien avec les victimes, les acteurs d'Outreau et certaines sources judiciaires. Autant dire que cette contre-enquête est placée sous le signe de l'empirisme, et non pas sous une quelconque fièvre complotiste et irrationnelle, virus qui foudroie quiconque questionne les vérités officielles.

On pourrait dire de ce Retour à Outreau qu'il est un ouvrage de réhabilitation. La première réhabilitation concerne les enfants. Les faits parlent d'eux-mêmes. Malgré l'acquittement, 12 des 15 enfants qui ont été entendus à la barre ont été reconnus victimes d'actes pédophiles et indemnisés en tant que tel. Jacques Thomet remonte donc dans le dossier d'instruction, donne du crédit au travail sérieux des experts qui ont entendu les enfants et seront démolis (pour cette raison) par les avocats de la défense à Saint Omer. Plus troublant, le journaliste fouille les dossiers des services sociaux, souvent alertés à propos des signes d'agression sur les enfants. Médicalement, tous les viols sont attestés, et ces rapports auraient pu soulager les victimes ainsi que les experts psychologues harcelés par les 18 avocats de la défense. Jacques Thomet vise aussi l'attitude irresponsable du psychiatre Paul Bensussan, adepte des thèses (très contestées aux Etats-Unis) de Gardner sur la non-prise en compte de la parole de l'enfant. L'attaque est double : non seulement Bensussan n'a conduit aucun entretien avec les victimes d'Outreau (?!) mais le précédent judiciaire affaiblira tout témoignage ultérieur de mineur. De quoi mettre sérieusement à mal l'idée de mensonges en série de la part d'enfants véritablement traumatisés. La deuxième réhabilitation concerne le juge Burgaud. Et ce travail est particulièrement convaincant. Non, le juge Burgaud n'était pas un jeune psychorigide, manipulé par Myriam Badaoui et dépassé par les évènements. Au contraire, Fabrice Burgaud se révèle au fil des pages en travailleur compétent, acharné et qui a presque réussi l'impossible, c'est-à-dire mener une enquête consciencieuse, en ne commettant aucune erreur ou vice de forme, alors qu'il instruisait à la même époque plus d'une centaine d'affaires. Impossible de ne pas saluer le "pestiféré" et ses enquêteurs, surtout si l'on compare son travail avec l'inertie de son successeur à l'instruction, et les divers représentants du parquet.

Reprenons donc l'équation que présente Outreau. Nous avons des victimes reconnues, quatre coupables dont un condamné pour proxénétisme de mineurs. Mais où sont donc passés les clients de cette prostitution ? Sur ce point, le livre de Jacques Thomet suscite effectivement le doute. Le journaliste recoupe toutes les affaires d'Outreau : l'affaire principale, mais aussi les affaires oubliées (Outreau bis 1,2,3) et la récente condamnation du couple Lavier (qui compte parmi les acquittés de l'Affaire de 2004) pour maltraitance et violence sur mineurs. S'il n'incrimine personne explicitement, Thomet installe sur la sellette de nombreux acquittés d'Outreau : Marécaux, Dausque, Martel, Legrand père et fils et l'abbé Wiel. Car les indices ou les anomalies existent dans ces dossiers, et il est étonnant que personne ne les ait jusqu'ici relevé. Le livre va parfois plus loin et attaque les contre-vérités assénés a posteriori par ces acquittés. Marécaux est particulièrement visé à travers le biopic "Présumé coupable" un peu trop favorable à la vision déformée des faits par son protagoniste. Et quid de la communauté médiatique qui n'est pas vraiment à l'honneur dans l'ouvrage ? Si Thomet n'est guère tendre avec des pratiques journalistiques privilégiant l'information quotidienne à la nécessaire prise de recul critique, il est d'autant plus sévère avec une Florence Aubenas auréolée de son statut d'otage. L'auteur de La Méprise a en effet livré un essai à charge, sans visiblement s'enquérir de l'intégralité de l'instruction, et qui aura eu son impact sur le procès en appel et son verdict favorable aux acquittés. 

Les réseaux pédophiles passionnent souvent l'opinion publique en raison de la charge émotionnelle véhiculée par la nature des faits commis. Ils sont aussi de puissants vecteurs de fantasme, ou du moins d'images particulièrement fortes dès lors qu'il s'agit de plonger dans l'atrocité humaine. Dans sa version la plus "évocatrice" cela donne des actes de viols, de torture, de meurtre et de cannibalisme dans le cadre de rituels sataniques protégés par les plus hautes sphères de l'Etat. Ceux qui chercheraient ces éléments dans Retour à Outreau seront déçus. La question des notables est à peine suggérée et pour cause, il y en a peu dans le réseau pédophile d'Outreau. Seuls Marécaux, huissier de son état, et un médecin sont mentionnés. C'est trop peu pour spéculer sur les vices de nos élites. Les meurtres des enfants sont abordés, notamment en première partie de l'ouvrage avec les dernières révélations des fils Delay. Mais au même titre que dans l'enquête du juge Burgaud, le journaliste n'a pas de "corps" pour les éléments avancés. Reste au lecteur d'accorder sa confiance totale dans les propos de Cherif et Dimitri. Quant à la protection de l'Etat et la classe politique, elle est aussi abordée, mais très tard et trop brièvement pour que la réflexion soit satisfaisante. Toujours est-il que la supposée destruction (illégale) des auditions vidéos des victimes d'Outreau, si elle est avérée, est un scandale pour notre République. Il me semble d'ailleurs que c'est dans cette direction que pointe l'ensemble de l'ouvrage. Ce qu'aura révélé l'Affaire d'Outreau et son fiasco du fiasco  (un Fiasco²), c'est l'indigence qu'aura arborée notre Justice tout au long du processus. L'auteur s'attarde longuement sur le dispositif inacceptable des Assises de Saint Omer en 2004 et l'on comprend pourquoi, entre sa surprenante scénographie, les interruptions, les insultes, le tout orchestré par un président sans réaction. Il faudrait également mentionner tous les manquements du parquet ou encore les conditions exécrables dans lesquelles nos magistrats sont amenés à rendre la Justice, mais il ne s'agit pas pour moi de réécrire cette enquête. 

Certes,tout n'est pas parfait dans Retour à Outreau. Jacques Thomet a tendance à rabâcher à divers endroits de l'enquête les mêmes éléments et arguments. Des idées fortes sont suggérées mais non étayées, mais là encore, c'est peut-être trop attendre du travail journalistique qui ne peut se substituer à une enquête policière. On pourrait aussi chipoter sur le travail éditorial, ses quelques coquilles et son format qui ne permet pas toujours une grande visibilité des fac-similés. Mais c'est véritablement pinailler face aux immenses mérites de l'ensemble. Dans un style sobre qui ne tombe jamais dans un pathos malvenu, Jacques Thomet réussit son entreprise, car à force de pointer les dysfonctionnements et les non-dits dans l'affaire d'Outreau, le lecteur doute. Et quand le scepticisme point, la critique n'est jamais loin. Une attitude citoyenne somme toute fondamentale quand il est question d'une des fonctions régaliennes de notre état.

PS : Il vous sera à mon avis difficile de vous procurer le livre en librairie. Si vous êtes intéressé, il faudra se rendre sur leur plateforme marchande, ici

5 commentaires:

  1. Merci de cette clairvoyance, d'avoir pu lire ce livre sereinement

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  2. Aucun citoyen ne peut rester insensible à ce travail journalistique ... comme victime, je vis la souffrance de ces victimes niées, humiliées, abandonnées ... je suis dans une grande colère face à une société, face à des gouvernants qui abandonnent LEURS enfants à des criminels ....MERCI Jacques THOMET ...

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  3. Il fallait l'oser cette plume pour critiquer un sujet bien difficile et polémique.

    J'en ai apprécié tout son contenu et notamment l'importance de cette phrase :
    "Autant dire que cette contre-enquête est placée sous le signe de l'empirisme, et non pas sous une quelconque fièvre complotiste et irrationnelle, virus qui foudroie quiconque questionne les vérités officielles."

    Merci à son auteur et à la Librairie Préambule.

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  4. Si vous trouvez des coquilles dans ce livre, merci de me les signaler... Quant aux fac-similés, des raisons techniques ont fait qu'ils n'ont pu être pris directement à la source, ce qui a affecté leur définition. Mais il est vrai aussi que KontreKulture a pris le parti de faire des livres au format plutôt petit, afin qu'ils tiennent (presque) dans une poche, et également pour les mettre à la portée de (presque) toutes les bourses.
    Anne Lucken (lucken.anne@hotmail.fr)

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  5. Quand on lit le livre d'un témoin direct, l' experte des enfants: "Outreau la vérité abusée "12 enfants reconnus victimes chez Hugo et cie publié en 2009 par MCGryson-Dejehansart, on apprécie le travail objectif de Jacques Thomet, un grand journaliste d'investigation :
    http://la-verite-abusee.pagesperso-orange.fr/

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