mercredi 29 mai 2013

New 52 : Green Arrow #20, Aquaman #19, Wonder Woman

C'est au tour des séries Justice League, avec un petit retardataire du mois d'avril. La qualité est au rendre-vous, et c'est le principal. 

Green Arrow #20 : Jeff Lemire/Andrea Sorrentino


Et encore un affrontement Green Arrow/Komodo pour ce numéro. Cela dit, les bastons s'enchaînent mais ne se ressemblent pas. Pour une fois, Oliver prend le dessus (pas trop tôt). On peut même écrire que depuis l'arrivée de Lemire, c'est le premier numéro où notre héros ressort globalement victorieux avec un sauvetage et une rouste à la clef. Rien de très original, mais c'est quand même bien orchestré, d'autant que Lemire maintient parfaitement son cap. Le découpage diachronique entre les deux intrigues est mené à son terme, et plutôt bien d'ailleurs. L'écrivain se permet également le luxe de dessiner une nouvelle piste (vers un War of the Arrows ?), ce qui nous donne un parfait dosage entre le mystère et le dévoilé est donc parfait. En plus c'est toujours aussi beau. Andrea Sorrentino est vraiment un grand dessinateur, et plus ça va, plus ses planches renforcent l'univers de Lemire en amenant Green Arrow là où on ne l'attendait pas. Dommage pour moi, il va falloir que j'attende plus de 6 mois pour connaître la suite, puisque je passe à la vf... 


Aquaman #19 : Geoff Johns/Paul Pelletier/Sean Parsons


Je n'ai absolument pas vu le temps passé en lisant ce numéro, ce qui est bon signe. Cela devient fatiguant de réécrire tous les mois la même chronique à propos d'Aquaman... Et oui, voilà un nouveau numéro très bien écrit. Johns avance doucement mais sûrement ses petits pions. Toutes les intrigues (Le procès d'Orm, les premiers pas royaux d'Arthur, l'arrivée d'un ancien roi, le Scavenger) sont travaillées et on ressent la cohérence de l'ensemble. Vous me direz, il vaut mieux car le prochain numéro est son dernier... Mais l'écrivain montre qu'il est toujours aussi doué avec les personnages. Cette fois-ci on peut dire que Mera est un poil plus à l'honneur. La princesse enchaîne les cliffanghers, et je suis vraiment curieux des plans de Johns pour la conclusion de son run. J'ai été plutôt sévère avec le dessin de Paul Pelletier ces derniers temps. Son trait m'a bien moins gêné dans ce #20. A mon goût, le dessinateur a un très bon rendu des scènes sous-marines, et comme elles dominent dans ce numéro, nous avons donc de très jolies planches.

Wonder Woman #20 : Brian Azzarello/Goran Sudzuka/Cliff Chiang


Avant ce numéro, Azzarello se retrouvait avec une jolie guerre de succession sur les bras. C'est pas encore Game of Thrones, mais ça y ressemble. Depuis le départ (la mort ?) de Zeus, trois prétendants sont dénombrables : Apollon qui a putsché l'Olympe, le Last Born (enfant de Zola) et le First Born (une sorte de Conan divin qui tape pour ensuite... taper encore plus fort). A un moment ou un autre, ce beau monde doit s'expliquer, et c'est un petit peu la tonalité de ce #20. Beaucoup de castagne, surtout entre Artémis et Wonder Woman, et de promesse de castagne (Lennox vs First Born). On peut donc dire qu'Azzarello avance dans ses plans et le fait de manière efficace. En soi le numéro est en-dessous des précédents, mais ramené dans la dynamique d'un arc entier, je prends les paris qu'il sera apprécié à sa juste valeur, à savoir un épisode de bourrinage comme il en faut dans une série autour de la princesse amazone. En plus je suis mauvaise, car au détour de quelques dialoguesAux dessins, c'est encore l'alternance entre Chiang et Sudzuka, encore que le mimétisme entre les deux styles soit si fort qu'il m'a été difficile de distinguer les deux traits. C'est donc toujours de qualité, ce qui est très appréciable.

New 52 : Stormwatch #20, The Movement #1

On continue le bilan du mois de mai avec deux titres qui n'ont strictement rien à voir entre eux, mais que j'ai bien du mal à classer. Cela vous fait certainement une belle jambe et vous m'en voyez ravi. Allez, place aux comics !

Stormwatch #20 : Jim Starlin/Yvel Guichet/Jonas Trindade

 

L'excitation du WTF issue passée, le retour à la réalité est assez violent sur Stormwatch. On pouvait se dire que l'ancienne mouture de la team version Wildstorm plus l'arrivée de Lobo ça faisait plaisir. Et bien, ça fait pas plaisir du tout. Le problème tient essentiellement au fait que je ne vois absolument pas la direction que veut prendre Jim Starlin pour sa série. Voir que le vétéran a fait évoluer son style d'écriture est appréciable, mais ses dialogues restent lourds, obscurs à la limite du "mystérieux mystère". L'échange entre Lobo et les (...?) est une bonne illustration de ce ressenti à la lecture entre la circonspection et le laborieux. On ne peut pas dire que le scénario soit non plus très exaltant. C'est du pif paf pouf classique entre des races aliens qui se mettent sur la tronche avec Stormwatch au milieu. Bref, je ne suis plus aussi enthousiaste sur le titre, ce qui est un doux euphémisme. Ajoutez à cela que le départ de l'excellent Will Conrad aux dessins se fait aussi cruellement ressentir, puisque ses planches ne sont plus là pour faire passer la pilule d'une histoire à peine recevable. 

The Movement #1 : Gail Simone/Freddie Williams II


Voici une nouvelle série lancée par DC. Aux côtés de The Green, le projet de l'éditeur était ambitieux et pour le moins alléchant puisqu'il y serait question des rapports entre l'argent, le pouvoir et les super-héros. Le sujet est fécond d'autant que le contexte actuel marqué par les difficultés économiques ou une crise de confiance envers les autorités (politiques ou étatiques), s'y prête particulièrement. Vous me direz que ça dure depuis quelques décennies et vous n'auriez pas tort. Toujours est-il que j'attendais beaucoup du traitement d'une thématique passionnante surtout depuis l'annonce de Gail "Madame militante" Simone sur le titre. Coupons court à tout suspens, les promesses ne sont pas forcément réalisées. On était en droit de s'attendre à une sorte d'Anonymous-like en plus actionner. La référence est là au détour d'une idée visuelle (bien pensée) et de la mention d'un réseau médiatique dirigé par des hackers. Mais concrètement on a surtout une sorte de Young Justice un brin engagée, à savoir un groupe d'adolescents en collants qui molestent un flic aux mains baladeuses et décident de squatter un quartier entier pour coincer un tueur. Quand on titre sa série "Le Mouvement", on peut légitimement reprocher à Gail Simone de n'être pas allée assez loin dans le concept. A force de marcher sur des oeufs ("ouillle ouille je suis dans du mainstream"), finalement on ne raconte pas grand chose, et surtout pas grand chose d'original. Je vais attendre quelques numéros pour voir l'envol que va prendre (ou non) la série pour réellement me prononcer. Mais si on en reste à cette dimension-là, The Movement tient tout du parfait pétard mouillé. Rien à dire sur les dessins, un brin cartoony, mais qui finalement sont assez fidèles à l'ambiance instaurée par Simone. Par contre je regrette vraiment la couverture du teasing, autrement plus classieuse que ce remake spandex du club des 5. 

mardi 28 mai 2013

New 52 : Constantine #3, Animal Man #20, Swamp Thing #20

Allez, on est reparti pour les bilans des New 52. Je pense que cette rubrique sera d'ailleurs réduite, la faute aux récentes annonces d'Urban qui a révisé son programme kiosque. Pensez que dans le DC Saga #18, Green Arrow et la JLD font leur entrée. Vraisemblablement je vais mettre en pause ces deux séries pour me convertir à la vf et je vais attendre un peu pour voir ce qu'Urban pense faire de Superman : Unchained et de Superman/Batman qui vont sortir en juin dans la nouvelle vague de DC. Vous l'aurez compris, voici un premier bilan de l'univers Dark, sans la JLD, ce qui est presque un comble. Aaaargh, le portefeuille a ses raisons que la geekittutde se doit d'écouter de temps en temps ! 

Constantine #3 : Jeff Lemire/Ray Fawkes/Renato Guedes


Voilà la Round 3 de la petite guéguerre magique qui oppose Constantine à un cercle de sorciers home sweet home mes braves, puisque la ville a littéralement maudit notre fumeur blondinet qui se retrouve de surcroît prisonnier dans un entre-monde démoniaque. Il s'en passe des choses dans ce numéro puisque je ne vous parlerai pas de la rencontre au sommet qui s'ensuit. Honnêtement, ça se lit bien. C'est toujours un peu l'effet Canada Dry, ça ressemble à du Hellblazer (avec les coups de p..., les deux ex machina, les pauvres acolytes qui souffrent), mais ça n'en est pas. Mais comme je vous l'écris, dans l'esprit du Dark des New 52, la série ne détonne pas, et se lit avec plaisir. Et puis les dessins de Renato Guedes sont vraiment réussis (à part ces visages féminins). 
très méchants. Après le cadran et le compas, c'est au tour des lentilles d'être au coeur de ce conflit quasi-maçonnique. Plus sérieusement, c'est l'occasion pour Constantine de remettre les pieds sur le sol londonien. Point de

Swamp Thing #20 : Charles Soule/Kano/Alvaro Lopez


Je vous avais déjà parlé le mois dernier du changement total d'atmosphère qui avait été opéré sur ce titre. Ce deuxième numéro de l'ère Soule/Kano confirme toutes mes impressions du #19, et ce n'est pas très bon signe. Forcément Soule doit résoudre ce qu'il avait avancé, et ce jeu de la narration alternée entre rêve et réalité n'est pas forcément heureux. Disons que l'illustration des effets de la toxine de Scarecrow n'est pas très originale que ce soit dans l'écriture ou dans la composition des planches. D'ailleurs on ne peut pas dire que Swamp Thing soit à l'honneur dans le numéro, cédant clairement le pas au protecteur de Métropolis, l'incontournable Superman. Ce qui me gêne c'est la transformation du protecteur digne, fier et héroïque du Vert en une espace de caniche larmoyant réclamant trois conseils à la sauvette pour être un héros, alors que le gars vient de solutionner Rottworld... Un petit souci de caractérisation donc. Mais il y a un cliffangher, et comme je suis un crétin, je vais continuer la série. 

Animal Man #20 : Lemire/Leon/Green II/Silver


Le real-life hero est assez tendance depuis que Millar l'a popularisée avec son fameux Kick-Ass. La thématique est en soi très passionnante, et quand Jeff Lemire décide d'y apporter sa propre interprétation, l'amateur que je suis est forcément aguiché. Trêve de suspens, le numéro est brillamment écrit et s'apprécie comme one-shot particulièrement bien construit. Lemire traite de beaucoup de choses, que ce soit l'appât du gain pour les héros, les stratégies marketing qui supplantent la démarche héroïque ou encore le système médiatique qui tourne tout sentiment un peu noble en gaudriole vomitive. C'est brillant car non seulement Lemire nous parle bien des contradictions réelles qui guetteraient tout héros en contexte moderne, mais l'écrivain montre aussi un certain dégoût pour une industrie du spectacle qui annihile toute posture humaniste. La conclusion du numéro et la manière dont l'histoire du Red Thunder entre en résonance avec les propres déboires de Buddy Baker est tout simplement magistrale. J'aime généralement raisonner en termes d'arcs narratifs, mais là c'est un des meilleurs numéros pris dans dans sa singularité que j'ai lus depuis des lustres. En plus les planches sont très très belles, ce qui ne gâche rien à l'excellence de l'ensemble. 
 

jeudi 23 mai 2013

RECTIFICATIF sur la rencontre avec Rudy Ricciotti

Librairie Préambule / Bar du XXe siècle
Rencontre avec
 Rudy Ricciotti

L'architecture est un sport de combat


Ce samedi 25 mai à partir de 18 h (et non 11h) au bar du XXe siècle, 17 av. Victor Hugo - Cassis
Ce rectificatif est l'occasion de vous faire lire ce portrait publié dans le quotidien Le Monde
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L'actualité s'y prête : exposé – c'est bien le mot – à la Cité de l'architecture de Paris jusqu'au 8 septembre, Rudy Ricciotti est aussi le sujet d'un documentaire de Laetitia Masson (Rudy Ricciotti. L'Orchidoclaste) et le signataire d'un tout récent pamphlet (L'architecture est un sport de combat, aux éditions Textuel). Architecte du département des arts de l'islam, au Louvre, il achève la construction du Mucem a Marseille et du futur stade Jean-Bouin, à flanc du Parc des Princes à Paris.

"Le Grand Prix national d'architecture en 2006 est surtout l'auteur du Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MuCEM), établissement national qui doit être inauguré, le 7 juin, en bordure du port à Marseille. "Trois événements qui se superposent : ça crée un tressage asymptotique", commente-t-il, d'emblée. Chez Ricciotti, qui est aussi ingénieur, la mathématique n'est jamais loin.
"Pour recevoir le journaliste parisien, ce jeune sexagénaire, pantalon et chemise sombre de toile légère, mine bronzée et tignasse foisonnante, a chaussé des chaussures en cuir bicolores. Plus mafioso que joueur de golf. Cliché du Nord sur le Sud. Une vision qui le hante et qui pourrait venir d'Italie, dont sont issus ses parents ainsi que son nom que, contre toute attente, il prononce souvent à la française : "Rissiotti".
Chez lui, la question du "racisme cognitif" est récurrente : "Que de parler avec un accent prononcé entraînerait, de fait, une perte de substance critique. C'est inacceptable. Je ne peux être que suspect ou caricatural." Mais il apprécie aussi que face à ses prestations publiques, plutôt courues, "les gens puissent rire de soulagement". Que lui-même se fasse sourire ? "Evidemment." Ses confrères lui reprochent d'être trop médiatique, il leur répond que "c'est parce que, eux, n'ont rien à dire."
 "LÂCHETÉ DE LA DISTANCE"
Rudy Ricciotti dit avoir "l'usage des mots", et encore davantage celui de l'écriture. Il a "surtout, précise-t-il, l'incroyable vulgarité de dire ce qu'[il] pense". On s'interroge sur l'origine de ce plaisir fou à dire et à écrire. "Les mots ne sont pas l'expression d'une pathologie médicale." Pas de "névrose", "vie amoureuse normale", "trois fois grand-père" et "patron qui a créé 30 emplois dans un village au trou du cul du monde". Tout juste admet-il que ce "goût de la langue française est peut-être compensatoire de cette période de silence, enfant dans l'extrême solitude", en Camargue, planté entre un canal et un étang. "Ce déficit de contact visuel aurait pu faire de moi un autiste."
Suspecté par certains de complaisance envers sa propre éloquence, l'homme ne détourne pas le regard. Ses combats, puisqu'il s'agit de cela, ce bâtisseur affirmé les livre contre deux adversaires : d'un côté, l'hyper-réglementation, "qui fait que l'on n'arrive plus à construire" ; de l'autre, le minimalisme, un terme qu'il s'interdit d'utiliser parce qu'il veut "échapper à la lâcheté de la distance."
S'il était boxeur, Rudy Ricciotti appartiendrait à la catégorie des puncheurs, voire des esquiveurs, mais pas à celle des encaisseurs. Trop anxieux, trop impatient. C'était, à sa manière, la particularité de l'enfant terrible britannique, le poète Arthur Cravan (1887-1918), annonciateur de Dada, que l'architecte aime et cite tant.
"Tout grand artiste a le sens de la provocation", professait ce solide gaillard avant d'organiser, le 23 avril 1916 à Madrid, son propre combat de boxe contre le champion du monde, Jack Johnson, qui le mit KO au 6e round. La beauté du non-geste, en quelque sorte.
Ce non-geste, Rudy Ricciotti l'a initié et radicalisé à Vitrolles où, en 1994, il signe le Stadium, salle de spectacles et salle de sports. Un bloc de béton, coulé en œuvre, constellé de points de lumière, échoués parmi les boues rouges d'un crassier. Depuis 1999, l'extrême droite ayant pendant un temps pris les rênes de la ville, le bâtiment ne respire plus. Avec le Stadium, qui le fit connaître d'un plus grand nombre, Rudy Ricciotti voulait faire "le procès de l'esthétisation".
 "SYNTHÈSE DES SAVOIRS"
"Ça a été un pavé dans la mare politique, rappelle Patrice Goulet. Le monolithe était la seule réponse possible." Le critique d'architecture a été l'un des premiers à faire découvrir Rudy Ricciotti, en 1991, lors de l'exposition qu'il coorganisa avec l'Institut français d'architecture : 40+40 architectes de moins de 40 ans. Le Stadium, poursuit-il, "a aussi été la première architecture comme œuvre d'art. C'est forcément l'art qui influence sa radicalité".
"Aujourd'hui, la beauté est suspecte, le récit est suspect, la figure est suspecte", râle Rudy Ricciotti. Radical dans les années 1990, son travail devient "de plus en plus maniériste, et non pas maniéré", tient-t-il à préciser. "En archi, le courant maniériste, ça n'existe pas. Je suis, à 60 ans, dans la synthèse des savoirs; la superposition des métiers: l'archi, l'ingénieur, le coffreur, le ferrailleur..." Les savoirs conjoints du chantier dont il s'est fait le chantre. Et toujours le béton, dont la nature, revendique-t-il, "permet un niveau de développement d'emplois territorialisés et non délocalisables".
Dans cette histoire de passion à construire local, la société Lafarge, soutien de l'exposition à la Cité, occupe une position majeure. Grâce à son fils Romain, un ingénieur de haut vol qui lui permet d'affiner ses expérimentations, Rudy Ricciotti a su tirer le meilleur profit des bétons à ultra-hautes performances. Dont le Ductal, produit par le n° 1 mondial des cimentiers.
Ricciotti, complice ? Patrice Goulet en doute : "Quand on veut sortir des moules académiques d'une époque, il faut une arme qui vous avantage. L'approfondissement d'une technique est un bon moyen. Il a été très malin d'investir cette voie." Ce que dit l'intéressé : "Lafarge me suce les baskets. Ils font de la com'à tire-larigot sur mon travail. Je ne leur dois rien." Ainsi est Ricciotti.

mercredi 22 mai 2013

Rencontre avec Rudy Ricciotti le Samedi 25 mai

Librairie Préambule / Bar du XXe siècle
Rencontre avec
 Rudy Ricciotti

L'architecture est un sport de combat


Samedi 25 mai à partir de 11h au bar du XXe siècle, 17 av. Victor Hugo - Cassis

Qu’ont en commun la salle de rock Stadium de Vitrolles, le Centre chorégraphique national d’Aix-en-Provence d’Angelin Preljocaj, la restructuration des Grands Moulins de Paris, le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM) à Marseille, le musée Cocteau à Menton, l’aile des Arts de l’Islam pour le Louvre, la Philharmonie de Potsdam à Berlin, la passerelle pour la Paix sur le fleuve Han à Séoul, le Palais des Festivals de Venise et, en juillet, le nouveau stade Jean Bouin à Paris... Rudy Ricciotti, le plus tonitruant des architectes français.
Une exposition lui est consacr
ée du 11 avril au 8 septembre 2013 à la cité de l’architecture & du patrimoine à Paris et aussi, un film l’Orchidoclaste - 52 minutes - réalisé par Laetitia Masson. http://www.dailymotion.com/video/xye9is_bande-annonce-du-film-l-orchidoclaste_creation
Rudy Ricciotti aime le béton. Ciselé, savant, tendu. Grand Prix national d'architecture 2006, Rudy Ricciotti aime aussi le verbe, quand il est haut, lapidaire et accentué (façon Midi). Flambard, le geste large, il toise, bouscule, s'emporte, au risque du baroque... Mais cette grandiloquence n'est pas qu'une posture. « Sous la tartarinade de ce faux rigolo de Marseille-Pagnol, on découvre une profondeur, une gravité », dit de lui son vénérable aîné Claude Parent, autre amoureux des mots et du béton, et autre pourfendeur de la paresse intellectuelle (des confrères et aménageurs) et de la « mauvaise graisse » (des normes et réglementations). Derrière la provoc, les propos de Rudy Ricciotti sont salutaires. Une parole polémique, torrentielle et savamment convulsive. Et, comme ses bâtiments, bruts de décoffrage. Pour preuve...

MANIERISME …il vocifère, il faut s’y faire…
Il est question de survie et d’appétit. En vrac l’architecture snobée par les critiques, les étudiants snobés par leurs professeurs, les professeurs trompés par leurs femmes, puis l’épuisement européen, l’exil de la beauté, la fin de l’homme blanc, la doctrine de la pastèque, le minimalisme comme
nouveau Félibrige… Du latin « Fellare », l’art de sucer le sucre, l’impérialisme anglo-saxon, l’architecture « lounge », la couleur fluo, le dampalon, le méthacrylate, la savonnette sous emballage plastique souple, le design comme ressource spirituelle, l’éloge du banal et de l’ordinaire comme lutte des classes, le minimalisme encore comme ultime pornographie, sport et culture, contrition et cynisme, révolution et sardine, démocratie et poutargue, république et fenouil, Islam et Gotainer… Enfin bref, notre nouvel horizon métaphysique ! Il faut faire avec, quel leurre est-il si ce n’est le moment du pastis car l’hostie a du goût. Une seule voie, une seule réalité, un seul avenir, une seule croyance, une seule sexualité, une seule expression, une seule compression, une seule compassion, un seul projet…
Bombarder, bombarder Marseille pour faire un exemple et se bombarder soi même pour respirer un peu, ou dit plus modestement, raser les montagnes pour que l’on voit la mer. Arthur Cravan pesait 110kg quand il était le poète boxeur qui snobait par ses muscles Marcel Duchamp. Les retables de Séville, d’or total nous culpabilisent de ne pas croire en Dieu et nous laissent dubitatifs quant à l’œuvre d’Yves Klein. Seul résiste le Maniérisme, synthèse des savoirs, véritable masse musculaire apte à encaisser la colonisation de la morale architecturale. Le maniérisme, intuition politique augmentée de l’idée de bien faire quand on n’a plus d’idée, ou quand l’idée elle-même est coupable. Le maniérisme accumulateur de savoirs et défenseur des métiers, ces métiers dont nous avons besoin,
nous architectes, car ils sont socialement structurants. Le maniérisme, permettant de refuser les voyages neuroleptiques de l’art comptant pour rien ; est une ultime radicalité encore porteuse de sens. Le maniérisme pour refuser la taxe puritaine de la modernité. Le maniérisme comme bouclier fiscal devant cette modernité pathétique dont l’autisme inlassable… confine à la terreur. Et puis en gros, en finir à la grenade avec les stupéfiants du type convivialité et pelouse pour rêver un concert d’Alan Vega du groupe Suicide sur un porte-avion russe en buvant un Americano maniéré dans le cockpit ouvert d’un Sukhoï 27. Mieux vaut le sourire sadique de Maradona que le sourire sardonique de la Joconde.

Rudy Ricciotti


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Rudy Ricciotti, Grand Prix national d’architecture en 2006 a publié en
2007 HQE, Les Renards du temple aux éditions Al Dante qu’il préside depuis
2009. Le dernier bâtiment conçu par Ricciotti, le MuCEM (musée des
Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée), sera inauguré en juin
2013
.

L' Architecture est un sport de combat
Dans cet entretien, l’architecte Rudy Ricciotti, animé par un goût des mots et des formules qui saisissent les conventions à la gorge, bouscule les idées reçues. Il n’hésite pas à sabrer le « salafisme
architectural » ambiant – ce minimalisme désincarné qui règne sur la création contemporaine –,   la     « pornographie réglementaire » d’une administration omnipotente, sans oublier la « fourrure verte », nouvelle doxa environnementale. Ce virtuose du béton, grand défenseur des savoir-faire locaux, tient à expliciter ses combats, armé de ses principales œuvres : le Stadium de Vitrolles, le centre chorégraphique national d’Aix-en-Provence, le pont du Diable à Gignac, le musée Cocteau à Menton, le MuCEM (musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) à Marseille… Il dresse ici un portrait sans concession de sa profession et de son enseignement. Un manifeste provocant et salutaire.


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Alors, pour en savoir plus...

RENDEZ-VOUS SAMEDI 25 MAI - 11H - au bar du XXe siècle.
(Rens. : 04 42 01 30 83 / Pr
éambule)

Nous vous attendons nombreux
Préambulement votre

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vendredi 17 mai 2013

Infinity (Marvel Now), par Skottie Young

Je ne résiste pas à l'envie de reproduire sur ce blog une des variant covers pour le prochain crossover Marvel, Infinity. Aux crayons, Skottie Young, dessinateur de l'excellent Oz (publié par Panini Comics) et archi-connu pour ses études sur les Babies Heroes. C'est cette dernière thématique qui est à nouveau à l'honneur dans cette couverture qui est une pure merveille : humour, côté rétro, "mignonitude". Bravo l'artiste ! 





mardi 14 mai 2013

Hulk #11 (Panini Comics)

Pour une fois que je reçois le kiosque vf pas trop tard (merci Makassar !), je me suis dit que ça pouvait se célébrer avec une petite chronique vf. La dernière fois où j'avais opéré un léger détour par les publications de Panini Comics, j'en avais profité pour un petit bilan des séries que je suis depuis pas mal de temps. J'avais notamment parlé du Hulk #9. Bon et bien, accélération rapide, et nous voilà arrivés au #11, avec la fine équipe du mag' à savoir Hulk, Rulk et les Secret Avengers. Pour ceux qui n'auraient pas suivi, les Thunderbolts c'est fini pour cette revue. Si le titre s'est transfiguré en Dark Avengers (toujours scénarisé par Jeff Parker), Panini a décidé de le publier dans les futures revues Avengers Extra.

Incredible Hulk (vol 3) #13 : Jason Aaron/Jefte Palo/Frank Martin


Je vous avais fait part de ma déception à propos du travail de Jason Aaron sur le personnage de Hulk. Je dois avouer que j'ai failli faire amende honorable le mois dernier puisque Aaron avait soudain esquissé une porte de sortie assez enthousiasmante pour la dualité Hulk/Banner. Le soufflet sera vite retombé puisque l'écrivain retombe dans la médiocrité avec le présent numéro. Dans ce Incredible Hulk #13, Aaron fait une sorte de bilan du conflit entre le scientifique et du monstre vert, mais cette fois-ci en s'attardant sur le point du vue d'un Banner revenu aux affaires. Non pas que quelque chose soit particulièrement mauvais, mais l'ensemble sonne faux. Déjà Banner qui dépouille un casino et qui enfile un costard façon Ocean's Elven, euhm... Mais ensuite c'est la chaîne logique des évènements qui pose sérieusement problème. L'idée d'une dualité externalisée était bonne, Banner aux abois et complètement dingue aussi, mais le reste... Et vas y que je meure mais que d'une manière inexpliquée je reviens à la vie dans mon alter ego qui lui fait tout pour rester en colère contre un moi-même censé être mort... Je veux bien suspendre mon incrédulité, mais il y a des limites. On voit que Aaron n'a strictement aucune idée de comment son merdier est concrètement réalisable et il ne fait pas beaucoup d'efforts pour apposer les nécessaires rustines afin de colmater les brèches de son récit. Même si la conclusion de ce numéro semble aller dans une direction maîtrisée, mes attentes ont fondu comme peau de chagrin. Vivement que Waid arrive avec Marvel NOW. Même pas envie de parler des dessins qui sont de toute façon indignes pour du Hulk. 

Secret Avengers #34-35 : Rick Remender/Matteo Scalera/Matthew Wilson


Double dose de Secret Avengers avec la revue. A contrario de ses petits camarades qui semblent attendre la relève de Marvel Now, Rick Remender y va toujours à fond les ballons sur son Secret Avengers. Ces deux numéros sont dans la lignée des précédents. Si vous avez raté le Hulk #10, sachez que la team se retrouve confrontée à une double-menace de type multidimensionnelle. Si cela peut être agaçant (ras-le-bol des failles temporelles et dimensionnelles), on ne peut pas critiquer la cohérence scénaristique de l'ensemble puisque Remender a, depuis l'introduction des doubles mécaniques des héros terriens, fait miroiter la couleur de ses atouts. Il se trouve que c'est Braddock (Captain Britain) qui se trouve au milieu de la menace. Je ne suis pas connaisseur du personnage et j'avoue avoir été étonné de l'apparition des Captain Britain Corps en milice inter-dimensionnelle. Mais bon, c'est pas mal, et cela fait sens quand on sait qui est le grand méchant de l'histoire. Dans ces deux numéros, on suit les Secret Avengers divisés. Hawkeye et Captain Britain se retrouvent dans la dimension horrifique (Wolvampire, Captain Lou Garou, Thorzombie, etc...) pour remettre la main sur un artefact hyper important, tandis que Black Widow, Walkyrie et Venom gèrent la trahison de Ant-Man. Beaucoup d'action, ça n'arrête jamais, et mine de rien, il faut faire attention aux infos lâchées par Remender. Un petit bémol sur l'apparition de FrankenCastle. Les clins d'oeil c'est sympa, l'auto-citation (quand en plus ce qui est cité est contestable) beaucoup moin Mais ne boudons pas notre plaisir, on ne peut qu'être admiratif de l'ambition de ce dernier qui vient de transformer sa team black ops en titre blockbuster digne de l'équipe principale. Il y a donc de quoi se frotter les mains pour le dernier numéro. Niveau dessins, c'est pas mal du tout ; ça ressemble à du Walker, c'est dynamique, la colorisation sombre fonctionne bien. Il ne faut pas être trop chatouilleux avec l'anatomie humaine (cf le décolletée de Black Widow) mais ça reste agréable. 

 

Hulk #57 : Jeff Parker/Dale Eaglesham/Val Staples


Dernier numéro avant sa mutation en Red She-Hulk (toujours avec Jeff Parker aux manettes). Rulk est toujours aux prises avec ses dieux mayas et plutôt en mauvaise posture. Bon autant dire tout de suite que cette conclusion d'arc n'est pas mémorable... c'est le moins que l'on puisse dire. Jeff Parker tente vainement de compliquer son intrigue alors que cela ne va jamais chercher plus loin que l'apparition soudaine de l'élément inexpliqué qui résout tout (en l'occurrence les colliers magiques et les signes qui parlent). Bon, on reste sur du Hulk, donc ça finit en grosse baston assez jouissive. Toujours ça de pris me direz-vous, et vous n'auriez pas tort. Cela aurait pu être sympathique, mais Parker commet deux erreurs. La première est d'avoir levé le pied sur l'épique et le démesuré. Avec les premiers numéros, on était quasiment sur du God of War. Mais le démastiquage de divinités est presque anodin sur ce #57 (un comble !). La deuxième erreur est autrement plus impardonnable. Je déteste quand les écrivains prennent leur lectorat pour les derniers des cons. La palme revient ici à Annie le robot qui épilogue sur la perception mayas et les super-héros comme divinités contemporaines. A la limite je n'ai rien contre le fait de rappeler ce lien évident, mais au moins que l'on prenne la peine de le faire avec un brin de finesse. Et c'est loin d'être le cas avec ces dernières bulles, surtout avec l'ultime réplique kikoolol de Rulk, complètement hors-sujet par rapport au Thunderbolt Ross que Jeff Parker a lui-même construit depuis qu'il a récupéré la série. Je suis vraiment déçu de ce traitement par-dessus la jambe sur un titre qui méritait certainement mieux comme conclusion. 

Back-up A-Bomb (Hulk #25-27) : Jeff Parker/Mark Robinson.


Complètement anecdotique. Rick Jones fait des blagues et frappe des monstres. On s'en cogne et ça ne fait pas rire. Mais bon il fallait forcément remplir le magazine et difficile d'en vouloir à Panini pour cet effort. 



mercredi 8 mai 2013

Hérétiques, par Jocelyne Laâbi

Parmi les (petites) joies consubstantielles au travail dans une petite librairie généraliste, on peut compter cette liberté de voleter entre les genres littéraires les plus hétéroclites, au gré de nos humeurs et de nos envies. Après avoir eu ma période "polars", je me rends compte que je multiplie sans trop le vouloir les lectures dites "historiques". Encore une subdivision contestable, comme toutes les taxinomies littéraires qui sous-entendent un jugement dépréciatif en vertu d'on ne sait trop quoi. Mais quand les éditions La Différence décident de publier et de soutenir un roman "historique", on hausse un sourcil, ou scrute la quatrième de couverture, on feuillette presque distraitement les premières pages pour finalement se plonger avec avidité dans cette lecture. Voyons donc dans le détail ce que vous réserve Hérétiques, de Jocelyne Laâbi.

Permettez-moi  une petite parenthèse avant d'entrer dans le vif du sujet, un peu de contextualisation ne faisant jamais de mal. L'histoire a toujours possédé une puissance d'inspiration pour les écrivains. Il suffit de regarder les dernières parutions d'une maison comme Actes Sud pour s'en convaincre. Arditi, Ferrari, Gaudé, Enard, Pujade-Renaud, tous ont puisé dans le sujet historique pour composer leurs romans. On pouvait observer cependant dans ces différentes oeuvres un certain détachement par rapport aux sources comme si le romancier restait irréductiblement sceptique sur la capacité de l'Histoire à constituer en soi un sujet satisfaisant. Il y a toujours cette idée sous-jacente que la plume se doit de sublimer des faits trop terrestres, trop vulgaires, trop massifs, comme si la liberté du créateur était seule capable de redonner le souffle indispensable pour que le golem littéraire prenne vie. Je cède inévitablement à l'exagération caricaturale en écrivant une telle assertion, mais c'est comme si entre le page-turner à la Ken Follett ou Christian Jacq et l'écriture quasi-mythologique d'un Laurent Gaudé, il y avait un trou-noir, un no man's land où personne ne pourrait s'aventurer. Jocelyne Laâbi vient opportunément combler ce vide et nous démontrer que la littérature n'est pas la seule capable d'enchanter l'Histoire, mais que cette dernière est tout autant habilitée à illuminer la littérature.

Le premier mérite tient dans le sujet choisi par Jocelyne Laâbi : l'Islam. Je pourrais parler de la mauvaise presse qu'a la deuxième religion de France et de ses stigmates qui ne cessent de se marquer à l'heure où l'on nous impose un détestable conflit des civilisations. Mais là n'est pas la question. Pour des raisons compréhensibles (encore que), les programmes scolaires ne mettent guère en avant la naissance et l'évolution des civilisations musulmanes. Dommage, sachant que les premiers siècles du troisième monothéisme sont véritablement passionnants, puisqu'aux espérances de l'âge d'or ont rapidement succédé les affres de la division. En seulement trois cents ans, l'Islam a déjà connu trois dynasties, deux schismes et une multiplication de courants religieux minoritaires et autres mouvements sécessionnistes. C'est justement à la fin du IXème siècle que débute Hérétiques. Le califat abbasside est en déclin même si Bagdad vient de réprimer la révolte des Zenji. Le Golfe persique éponge à peine le sang des esclaves qu'un nouveau mouvement vient contester son autorité. Voici venue l'heure des Qarmates, mouvance chiite attendant le retour tant espéré du Mahdi, pour purifier un califat corrompu et avili par l'argent. Hérétiques traite de ces obscures décennies qui auront définitivement sapé les bases d'une dynastie sur le déclin. Le lecteur tient dans ses mains un roman résolument ambitieux qui entend conter l'épopée improbable de ces damnés de la terre. Des prémisses de l'alliance jusqu'aux terribles batailles qui feront trembler Bagdad l'orgueilleuse, Laâbi a reconstitué toute la montée en puissance de cette révolte politico-religieuse remettant en cause les bases mêmes de la Sunna, cette tradition que répudient les mystiques Qarmates. On ne peut que saluer le travail fourni de l'écrivain. A chaque page, à chaque chapitre on devine l'immensité de la préparation et la minutie accordée à la recherche des documents. Un effort concrétisé par une restitution historique qui tutoie l'excellence. On côtoie littéralement les bédouins, les caravanes, les oasis et cette communauté égalitariste qui refuse toute tutelle. On est tout autant transporté à Bagdad, siège de la culture abbasside et théâtre des querelles politiques sordides et des meurtrières luttes de successions. Entre la rage des révoltés et l'insouciance coupable des riches décadents, l'esprit de ce Xème siècle crève le papier et aspire le lecteur.

Une des principales qualités d'Hérétiques est que Jocelyne Laâbi n'oublie jamais les ambitions proprement romanesques qu'elle s'est fixées. Son texte ne peut être qu'une simple succession d'évènements et de noms, aussi fidèles soient-ils. L'écrivain incarne son épopée dans une gallerie restreinte mais qui servent les idées fortes du roman. Aboulfath tout d'abord, le vieux marchand et narrateur indirect du roman. Chroniqueur discret et sage, il représente cette force immuable qu'est le temps, témoin implacable de l'éclosion et de la chute des empires. Vient ensuite Walad son protégé, fougueux dans sa jeunesse, enthousiaste et insouciant, mais bien vite par la dureté de la réalité. Et puis chevauchent Abou Saïd et son fils, Suleyman, leaders des Qarmates, serviteurs du Mahdi, guerriers inlassables, persuadés de maîtriser un destin qu'aucun humain ne peut tenir dans ses doigts frêles. Et enfin Rabab, l'ancienne prostitutée à la beauté ravageuse, mais aussi Warda, jeune fille guerrière, deux variations d'un féminisme fier et qui symbolisent cette aspiration égalitaire, idéologie reine des Qarmates. Il me faudrait aussi parler de la structure du roman, tout aussi subtile qu'efficace. Jocelyne Laâbi n'a pas choisi de nous imposer des parties imposantes à l'instar des sagas historiques habituelles. Il faudra se contenter de chapitres courts, parfois d'une page à peine. Elle varie les styles, allant de la pure en passant par l'échange épistolaire, la reproduction des chroniques ou le conte. Elle joue avec habilité sur les blancs dans son récit, en distillant les ellipses, accélérant ou au contraire étirant le rythme de sa narration. Je dois aussi m'attarder sur la qualité d'écriture. A première vue, on voit que c'est bien écrit mais sans éclat stylistique. Mais en avançant on apprécie cette sobriété et l'on comprend qu'elle a été minutieusement construite. La plume de Jocelyne Laâbi est classique certes, mais elle tient d'un classicisme aérien. Elle glisse sur les personnages, survole les évènements, embrasse avec une délicatesse toute orientale émotions et sentiments. Les dialogues sont particulièrement travaillés, assemblages de poèmes, adages, proverbes et autres maximes, qui mettent en relief la culture musulmane du Xème siècle. C'est bien l'écriture qui est ce subtil vecteur entre l'Histoire et le lecteur, et qui guide ce dernier par la main pour le plonger dans un songe éveillé jusqu'à la conclusion du roman. 

Nul besoin de rajouter quoi que ce soit ou de s'attarder. Hérétiques est un excellent roman tout aussi passionnant dans sa thématique qu'envoûtant dans son traitement. Voilà un texte qui devrait réconcilier les amateurs d'Histoire et de belles histoires. Une très belle réussite que je vous invite sincèrement à découvrir.   

dimanche 5 mai 2013

New 52 : Bilan d'avril (3)

Univers The Dark


Swamp Thing #19 : Charles Soule/Kano


Nouveau départ sur la série avec une toute nouvelle équipe, Soule et Kano remplaçant respectivement Snyder et Paquette. Je subodorais qu'il serait difficile de passer derrière les deux compères ... et bien c'est confirmé que ce n'est pas évident. Le run de Snyder et notamment sa conclusion n'ont cessé de me hanter pendant cette lecture. Pourtant, Charles Soule ne démérite pas. A mon avis il a emprunté la seule direction qui s'imposait sur le titre, à savoir prôner une rupture nette et radicale avec l'approche de Snyder et élaborer de nouvelles pistes pour le Géant Vert. Aussi évident que cela puisse paraître, Soule nous rappelle que le Swamp Thing n'est pas une série Vertigo mais bien du New 52. Derrière cette lapalissade se cache pourtant un des traits les plus saillants du Swamp Thing de Snyder, soit une certaine déconnexion du reste de l'univers DC, Rotworld étant révélateur du phénomène. Assez tourné autour du pot, mais franchement c'est presque la seule chose vraiment positive que je puisse écrire. On comprend que Holland soit content d'être l'avatar du Green, ,mais je ne sais pas si renifler les fleurs, tuer des rats et stalker le Scarecrow soient les meilleures idées mobilisables pour le caractériser. Reste que comme cet arc s'installe à Métropolis, on a bien évidemment une apparition de Superman. Cela ne sauve pas le numéro, mais bon, cela donne (un peu) envie d'en savoir plus au prochain numéro. Au niveau artistique, Kano est dans la note, ni plus ni moins, c'est bien moins organique que Paquette, mais c'est pas trop mal. Mention spéciale pour la vue plongeante sur Superman et Métropolis. 

Animal Man #19 : Jeff Lemire/Steve Pugh


Même si l'équipe est inchangée, le défi est le même pour Jeff Lemire. Après tout, ce dernier s'est vraiment révélé sur le titre, et après dix-neuf numéros de haute volée, il doit prouver qu'il est tout autant capable de se renouveler. En guise de nouveau souffle, Lemire est toujours en train de gérer l'aftermath de Rotworld, et notamment la conclusion tragique du #18. Ce numéro est donc placé sous le signe de l'émotion. Concrètement cela se traduit par l'explosion de la famille Baker, Buddy étant pointé clairement du doigt comme étant le responsable des malheurs qui les ont touchés depuis le début de l'apparition du Rot. Malgré les coups d'éclats, Lemire n'en fait pas trop et reste subtil dans sa retranscription de la tragédie. C'est bien écrit et l'empathie fonctionne à fond avec l'ensemble des personnages dont les réactions sont toutes justifiées et crédibles. L'écrivain aurait pu s'arrêter là, mais il enfonce le clou en prolongeant la déchéance de Buddy Baker. Fou de douleur, ce dernier s'en prend au Parlement du Red qui apprécie mal de se faire sermonner et menacer par un simple humain. La punition ne tarde pas et nous quittons Animal Man complètement seul. La chute est abrupte ou comment passer du statut de héros adulé à celui de paria en quelques cases. Pour les dessins, Steve Pugh est encore au top, et nous démontre, numéro après numéro, qu'il est pour beaucoup dans la réussite de la série. Bref, Animal Man est une valeur sûre des New 52. 

Constantine #2 : Jeff Lemire/Ray Fawkes/Renato Guedes


Même s'il n'était pas transcendant, le premier numéro avait fait (un peu) illusion quant à la capacité des New 52 à capter l'essence du personnage issu de l'univers Vertigo. Malheureusement l'illusion n'aura duré qu'un numéro et l'on déchante très rapidement avec ce #2. Lemire  et (surtout) Fawkes continuent de tisser leur intrigue sur fond de quête d'objet magique vachement destructeur. Constantine est toujours opposé au clan de la Cold Flame, une alliance des magiciens les plus puissants et les plus tarés en activité. Dans ce numéro, il est naturellement opposé à un des représentants de l'alliance puis carrément au Spectre. Lemire et (surtout) Fawkes nous jouent bien la carte du Constantine devant déjouer in extremis les plans d'un méchant et de la mort (deux classiques d'Hellblazer) mais c'est raté. Le copier/coller sur l'univers DC n'impressionne guère (moi le Spectre ne m'a jamais fait trembler), et surtout l'écriture nous pond un Constantine pleurnichard, presque gentillounet, aux antipodes de ce qui a fait la gloire du magicien fumeur. Ce n'est pas merdique, mais on est clairement en droit d'attendre plus d'une série solo dédiée à Constantine. J'espère que la barre sera redressée, d'autant que les dessins de Renato Guedes sont plutôt jolis et retranscrivent de belle manière la maturité du titre. Enfin, le bonhomme est plus doué avec les visages masculins qu'avec les traits féminins qui sont parfois un peu trop anguleux. Mais bon, c'est accessoire. 

Justice League Dark #19 : Lemire/Fawkes/Janin/Cifuentes


Une excellente lecture de ce mois d'avril. Il y a plusieurs motifs de satisfaction pour ce #19. Tout d'abord, je dois dire que le roaster de l'équipe est très enthousiasmant : Frankenstein, Dead Man, Xanadu, Constantine, c'est parfait. Ensuite nous voilà dans un nouvel arc qui nous permet d'oublier la conclusion en demi-teinte de Death of Magic. Fawkes et Lemire se permettent même le luxe de relier leur intrigue à la secte de la Cold Flame introduite dans Constantine #1, et de bien mieux s'en servir, ce qui est presque un comble. En outre les deux écrivains sont particulièrement à l'aise avec tous les personnages de ce groupe de justiciers. Boston Brand est mis un poil avant, entre l'expression  de son sens de l'honneur et d'appartenance à la JLD, et son badinage (bien écrit) avec Mme Xanadu. Cela me touche car j'ai une tendresse particulière pour ce personnage, tellement attachant dans Brightest Day. Enfin, on retrouverait presque le Constantine qu'on aime bien, celui qui se trouve rapidement dans la m...e (l'intro est très efficace), qui en a rien à faire d'interrompre tout le monde à tout bout de champ et qui se permet le luxe d'enquiquiner Swamp Thing. Vous le comprenez, ce début d'arc part sur les chapeaux de roues ce qui procure une certaine ivresse à la lecture. J'en veux pour preuve la déception lorsque l'on doit refermer le fascicule. Le cliffangher ne fait que confirmer ces très bonnes impressions, et je suis impatient quant à la suite concoctée par Lemire et Fawkes. Aux dessins, Janin est assisté par Cifuentes (Detective Comics oblige) mais cela reste stratosphérique. C'est beau, c'est dark, c'est nickel comme d'habitude.  

Bonus New 52 : Batman, art by Alex Maleev

Dans mon dernier billet consacré au #19 (ou 900) de Detective Comics, je vous louais la superbe double-page d'Alex Maleev. J'ai tellement été accroché par le dessin que je me suis mis immédiatement en quête d'une version numérique pour en faire mon fond d'écran. Malheureusement, ma recherche s'avéra infructueuse, à l'exception d'une version en noir et blanc et guère satisfaisante. Mais grâce à twitter et à la gentillesse de l'artiste himself, je peux vous proposer cette fameuse planche. 

Un grand merci à Alex Maleev pour le lien. Enjoy !!


samedi 4 mai 2013

New 52 (Avril 2013) : Detective Comics #19

Detective Comics #19 : What is the 900 ?


J'aurais pu ou du chroniquer ce numéro de Detective Comics en compagnie des autres titres de la Bat-Family. Mais le #19 de Detective Comics est un cap, que dis-je une péninsule, un mastodonte de 80 pages qui dénote parmi ses congénères d'une vingtaine de pages (plus les pubs). Mais que cache ce numéro XXL ? C'est un hommage à peine déguisé au titre historique qui a vu la naissance de Batman. Oui, les New 52 sont un relaunch/reboot, mais ce n'est pas pour autant que l'on doit oublier ce qui a été fait avant. Derrière le mystérieux titre "What is the 900 ?" se cache une des plus grandes énigmes mathématiques depuis le dernier théorème de Fermat. Tentons une soustraction farfelue : 900-19 (dont #0). Cela nous donne 881, soit le nombre exact d'issues de la première série Detective Comics. Donc 881 (v1) + 19 (v2) = joyeux anniversaire ! Bref, l'honneur revient à John Layman de nous orchestrer ce maxi #19 aka #900

The 900 : John Layman/Jason Fabok


Ce n'est pas parce que l'on doit fêter l'anniversaire de quelqu'un, aussi prestigieux soit-il, que l'on doit oublier les affaires courantes. C'est un peu la philosophie adoptée par Layman dans cette première partie. Et oui, il y a des bad guys en liberté dans la ville, et pas des moindres. Emperor Pinguin est toujours aussi retors et malin (en voilà qui a soigneusement préparé son ascension), et Zsasz toujours aussi fou. Mais quel est le rapport avec le #900 ? Et bien le premier se sert du second pour lancer une pandémie de man-bat dans tout Gotham. Assez vicieux comme plan, d'autant que c'est un Batman esseulé, sans sa famille (conséquence du précédent event de Scott Snyder) qui doit résoudre ce merdier. A titre personnel, je ne pense pas que ce soit la meilleure chose qu'ait pu écrire Layman. Les ressorts me semblent plutôt classiques, et je regrette que l'écrivain ait pu expédier aussi rapidement Zsasz et surtout le docteur Langstrom sitôt introduit. Cela dit l'épisode séduit par sa cohérence, car tout est rattaché à la big picture de Detective Comics et le problème que va poser Emperor Pinguin. Numéro après numéro Ogilvy gagne en envergure, et devient une némésis assez crédible. Niveau dessin, on est jamais déçu avec le niveau actuel de Fabok. C'est très beau et très efficace. Quelques effets de découpage sont également bien venus notamment cette page où Batman écrase la tronche de Zsasz avec un jeu sur les cases pour créer un effet de mouvement particulièrement bien trouvé. 

Man-Bat Birth of a Family : John Layman/Andy Clarke


J'accorde la mention très bien à ce titre, parfait négatif du récent Death of The Family. Une espièglerie, un clin d'oeil, une saillie drolatique très appréciable qui montre que l'on ne se prend pas toujours (trop) au sérieux chez DC. Donc merci John Layman pour le grand sourire que cela m'a procuré. Par contre je vais être assez succin sur cet épisode ma foi assez classique. Conséquence directe du final de The 900, John Layman décide donc de dresser le background du couple Langstrom, la création du man-bat, tout en livrant l'épilogue de l'invasion des chauve-souris hostiles pour les deux scientifiques. Layman ne prend vraiment pas de risque, mais la conclusion fonctionne bien, et je crois qu'il ne faut pas aller chercher plus loin que cette impression positive. Andy Clarke s'en sort plutôt bien pour les dessins, avec un trait qui rappelle un peu ce que peut faire Ethan Van Sciver. 

Interlude graphique : sublime double-page d'Alex Maleev. Il doit être assez compliqué aujourd'hui pour les dessinateurs de retravailler l'iconique dans Batman. Et bien mesdames et messieurs, Alex Maleev réinterprète à merveille le thème de Batman et son projecteur. Cela peut sembler banal à première vu, mais entre le contraste de la cape sombre et de la lumière, et l'arrière-plan urbain, le dessinateur a réussi à capter l'essence des liens qui unissent le justicier à sa ville. Dommage que DC n'en fasse pas un poster... 

Bane in War Council : James Tynion IV/Mikel Janin


Ben alors James, c'est un peu ton mois, cet avril 2013. Deux séries régulières, la back-up de Batman, une participation dans le spécial Detective Comics, ça va pépère ! On n'attend pas, mais alors pas du tout ces pages dédiées à Bane. C'est complètement hors sujet avec le contenu récent de Detective Comics. Pour apprécier ces pages, il faut suivre Talon, car ce War Council est une sorte de prélude au #7 (c'est pas moi qui l'écris, mais l'éditeur de DC, donc...). C'est peut-être hors sujet, mais ce sont des pages qui sont pour moi très importantes en tant que travail salutaire pour remettre un peu de cohérence dans la caractérisation bordélique de Bane dans les New 52. Remis en piste dans le Batman The Dark Knight de David Finch et complètement oublié jusqu'au dernier Talon, James Tynion IV fait le lien avec la Cour des Hiboux et l'aftermath de Night of the Owls. Je ne dis pas que c'est génial, mais l'effort de restructuration est vraiment appréciable vu le nombre d'intrigues et de personnages laissés sur le carreau suite aux changements d'équipes scénaristiques (franchement il y a un article à faire sur ces victimes éditoriales). En outre, le personnage gagne en envergure et on retrouve (un peu) le Bane de Knightfall (mais vraiment un peu). Au niveau du dessin, j'aime beaucoup ce que fait Janin sur la JLD. Mais il faut croire que la colorisation est aussi très importante, car j'ai presque trouvé son apport quelconque sur l'épisode, à part sa vision de Bane et une scène de décapitation assez jouissive. 

Mr Combustible in Birdwatching : John Layman/Henrik Jonsson


Ces pages sont presque anecdotiques. L'occasion pour moi de découvrir le fameux Mr Combustible, assez ridicule soit dit en passant. Mais l'ami Layman est expert ès cohérence, et plante son épisode en plein The 900 et sa pandémie de man-bat. En fait, ces quelques pages sont surtout importantes pour le dialogue entre le gaz parlant et le "vrai" Pinguin enfermé à Blackgate. Donc Layman n'a pas oublié son personnage et entre-ouvre déjà les portes d'un come-back.

Gotham's Finest in Through a Blue Lens : John Layman/Jason Masters


Alors là c'est encore plus anecdotique. Layman continue avec les répercutions de The 900, et s'attarde sur un policier blessé par Batman alors qu'il se transformait en man-bat (oui, je sais, il faut suivre). Bref, c'est le passage obligé où l'on ressort le débat sur la légitimité de la démarche du Chevalier Noir et plus globalement du vigilantisme. D'un côté les policiers qui trouvent que c'est un criminel, de l'autre ceux qui pensent que c'est un formidable auxiliaire voire un ange-gardien. Layman nous la joue Gotham Central, c'est pas mal mais ça ne brille pas par son originalité. Le seul mérite est symbolique, à savoir conclure un #900 sur du trivial, de l'ordinaire, en somme ce à quoi nous, pauvres lecteurs mortels, pouvons nous identifier. En quelque sorte, Batman s'apprécie comme ce cadeau universel, offert à toutes et à tous. A nous d'allumer notre propre projecteur et de nous inspirer de ce qu'il incarne (waouou, ça va un peu loin là... je ne demande à personne de mettre des collants ou du spandex, hein !)

New 52 : Bilan d'Avril (2)

Univers Batman 


Talon #7 : Scott Snyder/James Tynion IV/Guillem March


Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'on s'ennuie très rarement à la lecture de Talon. James Tynion IV fait souvent preuve de générosité avec son lecteur en livrant des numéros denses. Il fallait probablement ça pour installer un spin-off qui n'avait pas forcément lieu d'être. Il n'en reste pas moins que ce #7 est très réussi. Si je dois faire le bilan de tout ce que l'on y trouve, je suis assez impressionné du nombre d'éléments travaillés par l'écrivain. On trouve enfin l'explication de la posture et du passé de Sebastian, donc on en sait un peu plus sur ce qui se trame avec les hiboux et sur les luttes internes de l'organisation secrète. Comme tout ce beau monde s'explique désormais à Gotham, il ne fallait pas longtemps avant que son gardien pointe le bout de sa cape, et nous avons une belle rencontre au sommet entre Calvin et Batman. Non seulement ça parle dans ce #7, mais ça se bat beaucoup, et l'on a droit à une belle dose d'action : scènes de fuite, de trahison, la palme revenant bien évidemment au combat que doit livrer notre héros à un Bane passablement énervé. Je trouve donc que Tynion IV s'en sort une fois de plus avec les honneurs et je suis à nouveau transporté dans son histoire. Le fait de confronter Calvin à des personnages connus de l'univers batmanien est un choix plutôt payant qui sera, j'espère, récompensé. Du côté des dessins, rien à dire, Guillem March est toujours en forme et c'est très joli. 

Batman The Dark Knight #19 : Gregg Hurwitz/Szymon Kudranski


Nous sommes toujours en plein arc sur le Mad Hatter. Contrairement aux précédents numéros, Gregg Hurwitz a décidé de lever le pied. Ce #19 est en comparaison beaucoup plus calme et se lit comme une sorte de respiration avant la grande explication. Attention, il ne faut pas comprendre qu'il ne s'y passe rien. Bien au contraire, Hurwitz continue de jongler entre le passé du Chapelier et l'avancée de son plan dans le présent, les deux parties étant bien évidemment liées. Je dirais même que toutes les pièces commencent à s'assembler et l'on devine quelle sera la teneur des prochains numéros. Je pourrais d'ailleurs critiquer l'écrivain qui se révèle un poil trop démonstratif ou trop dirigiste dans le dévoilement de ses plans. Pas de twist ou autre développement inattendu au programme, l'histoire avance tranquillement dans des clous un brin trop voyants. Je loue régulièrement le travail d'Ethan Van Sciver (qui signe tout de même la couverture de ce #19). Je dois dire que j'ai été bluffé par son remplaçant Szymon Kudranski. Il y a une rupture d'ambiance dans la série. Le trait de Kudranski me rappelle ainsi furieusement ce qu'avait pu faire David Mack sur Daredevil. La colorisation de Hi-Fi joue aussi un rôle important, et rappelle là aussi le jeu de couleurs adoptés sur les dessins de Maleev dans le même Daredevil. On sort du graphisme classique et blockbuster de Van Sciver, on gagne en onirisme mais également en noirceur. Les dernières pages (en particulier la double-page qui conclut le numéro) sont sublimes et valent vraiment le détour.

Batman #19 : Scott Snyder/Greg Capullo/Danny Miki


Après la "pause" du précédent épisode, retour aux grandes affaires avec l'introduction d'un nouveau grand bad guy de l'univers Batman. C'est au tour de Clayface de se mettre en travers du chevalier noir. Pas grand chose à dire sur cet épisode finalement. Scott Snyder met en exergue l'aspect détective de Batman et comment le héros n'a pas son pareil pour remonter une piste. C'est presque sur les éléments secondaires que l'écrivain se fait le plus remarquer. Pas besoin d'oraison funèbre pour travailler l'émotion que suscite la perte d'un proche. Un souvenir, une scène, une évocation qui s'évanouit dans une eau stagnante suffisent pour montrer combien Bruce Wayne a été touché par cette récente disparition. Un petit mot s'impose sur la structure en elle-même du numéro. Je ne sais pas pourquoi j'ai tiqué sur ce #19 car je suis certain que de nombreux auteurs ont eu recours à la technique. Probablement car ce type de narration commence à m'agacer tant il se répète dans les séries télés. Non pas que les emprunts aux mécanismes propres à la télévision me gênent (au contraire), mais la redondante systématisation des codes m'ennuie. Donc faire : 
1) Une scène choc avec une utilisation hyper étonnante d'un personnage (un gentil qui est méchant, ou un méchant qui est gentil par exemple). 
2) Le fameux "6 jours auparavant" (déclinable en "24 heures avant" "15 minutes plus tôt", etc...
3) Remonter la liste des faits pour que le 1) ne soit plus "hyper étonnant"
ça suffit !!! 
Pour les dessins, c'est le retour de Greg Capullo, et comme toujours avec lui c'est très beau, dynamique, du Batman comme on en redemande tous les mois. 

Back-up story : James Tynion IV/Alex Maleev

On retrouve l'écrivain de Talon sur cette back up qui anticiperait presque le futur titre Superman/Batman de Greg Pak. Nous avons donc un petit exercice de team-up avec les deux icônes de DC. C'est très sympathique et Tynion IV insistant sur les différentes approches qu'ont les deux héros face à un même danger, qui est ici de nature magique. Le tout est illustré à merveille par Alex Maleev dont le trait suggère autant qu'il dévoile, mais décrit parfaitement l'ambiance poisseuse et sombre qui se dégage de ces quelques pages. Suite et fin au prochain numéro. 


 

vendredi 3 mai 2013

New 52 : Bilan d'Avril (1)

Oyez, oyez brave gens ! Je viens de recevoir (enfin !) ma grosse douzaine de comics vo, et pour avril ce ne sera que du DC. Entre le planning Marvel Now de Panini (terminé pour moi les tarifs prohibitifs de Marvel) et les retards sur la série Prophet (Image Comics), il ne me reste que mes petits New 52 pour me laisser bercer par la langue de Shakespeare. Mais mon petit doigt me dit que cette fournée printanière est assez intéressante, puisque ce mois d'avril était placé (selon les propres mots de DC) sous le signe du What The Fuck (si si!). Sans plus tarder, place aux séries Justice League, plus Stormwatch et sans Aquaman #19 (qui n'est pas arrivé à temps, snif). 

Univers Justice League


Stormwatch #19 : Jim Starlin/Yvel Guichet/Jonas Trindade


Alors là mes amis, sonnez les trompettes, c'est LA GROSSE SURPRISE des New 52 pour ce mois d'avril (même si je n'ai pas encore lu les autres titres). Je vous avais fait part de la conclusion catastrophique de Milligan et que j'étais plutôt sceptique sur le passage de relais. Mais on s'en fout, je serais tenté de vous dire, parce que papy Sterlin en a rien à br...r de ce qu'ont pu créer Cornell, Jenkins et Milligan. En six cases (pas cinq, pas sept), il envoie ad patres toute cette équipe de mous du genoux et la remplace par une p...n de New Stormwatch ! Je ne rentrerai pas dans les détails sur ce turnover qui nous la joue encore changements entre lignes temporelles, mais il y a de quoi hurler : MERCI JIM ! Et oui, non seulement l'écrivain nous ressort les vieilles versions d'Apollo et Midnighter, mais en plus il ramène d'entre les morts des figures historiques du Stormwatch d'Ellis (Hellstrike et un Weatherman masqué) et introduit deux nouveaux personnages, ma foi, forts sympathiques (The Weird, Le Bizarre, et Jenny Soul, la version psychic de Jenny Sparks). Alors il ne se passe pas grand chose dans ce #19, ça parle et présente beaucoup, mais quoi de plus normal lorsque l'on doit écrire le plus gros doigt d'honneur qu'il m'ait été permis de lire dans les New 52. J'en tremble encore d'excitation, et la côte de Stormwatch vient de grimper sévère dans mon coeur de fanboy. Et vu l'invité de la dernière page, il y a de quoi s'amuser sur les prochains numéros. Les dessins ? C'est pas mal. Je ne connaissais pas Yvel Guichet, mais c'est plutôt joli, quoiqu'en deça de ce que faisait son prédécesseur sur le titre. En conclusion ce #19 pourrait presqu'être un #1 bis, et les indécis doivent donner leur chance à ce qui sera peut-être la dernière incarnation de feu l'esprit Wildstorm dans les New 52.

Wonder Woman #19 : Azzarello/Sudzuka/Akins


Les mois passent et se ressemblent avec Wonder Woman. Azzarello ne cesse de me surprendre (en bien) et j'ai chaque fois l'impression que le dernier numéro est meilleur que le précédent. Et pourtant il n'y a pas de quoi particulièrement s'enthousiasmer avec ce #19. On est dans un début d'arc pépère, et l'action n'est vraiment pas dominante. Mais l'écrivain réussit tout ce qu'il entreprend. Les scènes avec le Last Born sont effectivement touchantes dans leur simplicité, la rencontre entre le First Born et son oncle est rondement menée, Apollon fait un retour remarqué (il ne m'avait pas semblé aussi charismatique dans les premiers numéros), sans parler du dialogue au sommet entre Hadès et Poséidon à coups de sentences dramatiques. Mais je crois surtout que je suis définitivement conquis par la caractérisation de Wonder Woman. Azzarello s'intéresse beaucoup à Diana (autant sinon plus qu'à son alter ego iconique) et humanise beaucoup ses réactions. Elle est tour à tour émouvante, sincère, ou carrément bad ass (la scène avec Orion, mama mia !). Même s'il ne se passe pas grand chose dans ce dernier numéro, il y a tout de même de sérieuses avancées dans le récit, et il faudra s'attendre à une rencontre assez rapide entre le First Born et Diana. Que du bonheur en perspective pour cette série qui ne cesse de se bonifier et mériterait peut-être la palme de la constance. Au niveau des dessins, on alterne entre les planches d'Akins (magnifiques) et celles de Sudzuka (un peu moins jolies), et c'est très bien pour les mirettes.

Green Arrow #19 : Jeff Lemire/Andrea Sorrentino


Contrairement à Wonder Woman, Green Arrow est en plein arc narratif.  Ce dernier numéro fait donc la part belle à l'action. Lemire démontre qu'il est toujours doué, et le duel Komodo/Arrow est très bien rythmé et pensé. Le découpage est également très réussi et les rebondissements sont maîtrisés (même si à titre personnel je n'aurais pas sorti la psycho girl tout de suite). On reste dans la tonalité de Green Arrow version Lemire c'est-à-dire d'un Olivier Queen qui en prend plein la gueule, et qui est surclassé par des archers concurrents. Sur la trame en elle-même, l'écrivain joue l'alternance entre Magus/Le désert et Komodo/La ville, la première partie devant être la rédemption de cette déchéance qu'est la seconde, mais les trous sont encore profonds pour que le puzzle soit reconstitué. Il m'est donc difficile d'écrire plus sur ce dernier numéro, sinon qu'il se lit vite et qu'il est très agréable. Encore un petit mot sur les dessins d'Andrea Sorrentino. C'est toujours aussi beau, ça traduit parfaitement l'ambiance urbaine et sombre de la série. Il symbolise même plutôt bien l'état intérieur d'un personnage principal qui avance dans le brouillard, morcelé et au bord de la rupture.

jeudi 2 mai 2013

Rencontre/Signature avec Clara Prieur, le Vendredi 03 mai 2013

Rencontre avec Clara Prieur
- lauréate du "Prix de la nouvelle ados" -
le vendredi 3 mai, 17 h 30, à la Librairie Préambule


La librairie Préambule est très heureuse d'accueillir Clara Prieur pour une rencontre lecture signature en compagnie de certains élèves du collège des Gorguettes. Déjà lauréate du prix des collégiens du Printemps du livre, Clara Prieur poursuit son aventure littéraire avec une très belle nouvelle titré "Vertige", prix Clara - Nouvelles d'ados, publiée aux éditions Héloïse d'Ormesson. Ce prix, créé en mémoire d'une adolescente décédée subitement, est destiné
aux adolescents qui aiment lire et écrire. Il est décerné par un jury présidé par Eric Orsenna, et sa vocation est caritative, les bénéfices des ventes étant reversés à l'hôpital  Necker - enfants malades.

Présentation de Clara par Clara :
" Je m'appelle Clara. Ma mère , pianiste, passionnée par la vie de Robert Schumann, m'a donné ce prénom il y a dix-sept ans. Belle coïncidence pour rendre hommage à celle à qui nous dédions nos nouvelles. J'ai commencé à écrire dès que j'ai su tracer les lettres. D'abord des histoire que je racontais à mes petites soeurs le soir, puis des nouvelles rassemblées dans un recueil intitulé "Instants (en)volés" et "Vertige", achevée à quinze ans, dont voici une version. Un vertige qui pourrait être une rêverie , un parfum iodé et enivrant, un roman "impressionniste" dont les mots dessineraient un paysage en pointillé.  J'écris en musique, je danse depuis toute petite, maintenant dans une compagnie, je fais du théâtre et viens de finir le conservatoire de piano. Mais toutes ces activités sont une manière d' "exprimer" , comme si je pouvais écrire avec mon corps, mes doigts, ma voix.
Les mots sont un aboutissements. J'ai besoin de retranscrire tout ce qui rend la sensibilité nue, à vif, semblable à celle d'un enfant.
La tension de la danse dans le corps. La vapeur asphyxiante du silence. Une expression furtive sur un visage comme un mirage. La musique dans laquelle je baigne depuis toujours. Le vent déchaîné et la mer auprès desquels j'ai toujours vécu. Tout ce dont l'intensité me saisit, puissante à en donner le vertige.
"


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Témoignage de Clara à l'issu de la remise du prix :


" Que toujours perdure le vertige..."

" Je crois que mes chers co-lauréats ont raconté à merveille les événements
de cette mémorable journée du 25 octobre 2012, et de cette magnifique
soirée du Prix Clara.
Bien sûr, moi aussi je voudrais dire à quel point ce moment a été
exceptionnel. Je suis tentée de multiplier les adjectifs : journée
grandiose, incroyable, euphorique, intense, inespérée, onirique même.
Mais pour ce qui est des faits, je pense que quasiment chaque seconde a été
détaillée de maintes façons alors, au risque de vous décevoir, je ne me
sens pas le cœur à proposer une septième version du déroulement de la
journée. Le Prix Clara a été la réalisation d'une utopie dont j'ai rêvé de
toutes mes forces pendant des années. Ce 25 octobre je l'ai vécu comme une
reconnaissance extraordinaire de ce que je fais depuis toute petite mais
aussi comme une grande chance. Grâce à ce prix nous avons pu être édités.
Et lorsque l'engrenage de la publication s'est mis en œuvre en incluant mon
texte j'ai réalisé à quel point cela faisait une différence indélébile, un
« avant-après » à la fois magique et paradoxal. Les mots que j'ai écrits
sont les mêmes qu'ils soient lus par ma famille ou par des milliers de
personnes, pourtant il y a un monde entre ces deux types de mots. Entre eux
il y a le format adoré du livre bleu et vert du Prix Clara 2012. Les
dorures au milieu desquelles se détache le sourire de mes sœurs et de ma
mère. Nos visages immortalisés. La trajectoire inexorable, sans faille, des
commentaires des lecteurs. Nos voix amplifiées, enregistrées. Des caméras,
nos voix écoutées, réclamées. Des rencontres. La représentation. Les
flashs. Il y a la lumière qui fait plisser les yeux, il y a la multitude.
La multitude. Comme un ventre dans lequel on nous a découpé une porte. Et
une porte majestueuse il faut dire.
J'ai été infiniment heureuse quand j'ai compris que ce moment qui avait
failli ne jamais arriver était bien là, que j'en faisais partie, par un
enchaînement magique de faits. Le temps aurait filé un peu trop vite, cette
dernière journée d'envoi des textes candidats au prix se serait déroulée
différemment, le jury aurait été autre, je n'aurais pas repensé à Vertige,
et ma silhouette se serait transformée lentement sur les pellicules, les
mots seraient restés riches mais stériles. Il aurait suffi d'un infime
détail, et rien n'aurait eu lieu pour moi, l'instant se serait dessiné sans
mémoire. Pourtant je suis là sur cette estrade où il faut que je parle, je
suis aussi en haut de la falaise orange qui surplombe la mer, je suis là où
personne ne me voit, je suis là où personne ne me lit. Il s'agit bien des
mêmes mots, de la même personne. Alors c'est une question de quoi
finalement ? De temps ? De chance ? De talent ? De patience ?
Mais l'hypnose passée, je lève les yeux, je vois des visages souriants, des
tables dressées, des gens apprêtés, qui me regardent, avec insistance,
presque avec curiosité, qui attendent que je dise quelque chose. Il faut
parler, de ce que j'ai écrit il y a presque trois ans, de ces mots, ces
paysages, ces sons-là qui m'avaient semblé éternels et que j'avais voulu
saisir comme l'enfant veut saisir à pleines mains l'eau salée qui glisse
entre les doigts.
Cette journée s'est déroulée à une échelle différente.
Le temps avait pris une consistance différente.
Et les mots l'avaient imité en se reproduisant à l'infini sur les pages.
Ce 25 octobre, je suis heureuse. Des passionnés d'écriture tout autour de
moi. J'ai la chance d'être publiée. Du sel iodé reste au creux de la paume.
À l'imprimerie, le  papier, à toute vitesse, devient une couche
imperméable. L'eau se passe de mains en mains étanches. L'enfant englouti
sous les vagues, la tempête ayant lavé la plage, l'eau s'étant évaporée,
l'instant demeure... ne serait-ce qu'un goût salé dans la bouche dont on se
souvient.
Merci aux éditions Héloïse d'Ormesson, aux parents de Clara, à tous ceux
qui soutiennent ce prix.
"

Clara Prieur - 7 janvier 2013

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Nous vous attendons nombreux vendredi 3 mai, à partir de 17 h 30 à la
librairie.
Préambulement votre

mercredi 1 mai 2013

Crime d'Honneur, d'Elif Safak

Après Hakan Günday (et lisez-le, vraiment), nouveau détour par la littérature turque avec Elif Safak. Et quand j'écris "littérature turque", les pincettes suggérées par les guillemets sont justifiées. En ouvrant ce Crime d'honneur, le lecteur attentif observera cette étrange mention "traduction de l'anglais (Turquie) par Dominique Letellier". Avec Elif Safak les choses ne sont jamais simples puisque la romancière écrit en alternant le turc et l'anglais. Une posture qui peut surprendre, mais qui correspond au style que s'est forgé Safak depuis quelques années. Plus que quiconque, l'auteure incarne ce que serait l'avatar de l'écrivain moderne : inspirée par les classiques de la littérature mais bien plus prolifique que ses derniers, fière de sa religiosité et adepte de l'happening artistique, attachée aux traditions culturelles tout en investissant massivement médias et autres réseaux sociaux. Il n'est guère étonnant que la Turquie ait pu produire une telle romancière, puisque ce pays est continuellement tiraillé par cette dialectique entre la tradition et la technique, le repli identitaire et l'ouverture, le passé et la présent, et dont la synthèse littéraire me semble plutôt fructueuse. Que ce soit avec la Bâtarde d'Istanbul ou Bonbon Palace, les deux romans qui ont révélé Elif Safak auprès du lectorat francophone, on pouvait observer ce dialogue entre l'univers chatoyant, bigarré d'un Istanbul orientalisé, et une science anglo-saxonne de la caractérisation et du récit. Deux romans à la vitalité étonnante, et qui, quelque part, ont pu résonner avec ce qui s'impose comme l'image d’Épinal de la Turquie, à savoir un pays à cheval entre Orient et Occident. 

Cela faisait quelques temps que j'avais "lâché" Elif Safak, entre ses déclarations chocs (opération marketing ?) et autres propagandes déguisées pour le parti actuellement au pouvoir en Turquie. Mais, l'envie m'a soudain pris d'ouvrir Crime d'honneur et de renouer avec l'univers de l'auteure turque. Comme son titre français le suggère, il est bien question d'un crime d'honneur. Ou plutôt le roman remonte dans la généalogie de cette famille kurdo-turco-anglaise pour décrire tous le processus qui amène Iskender à tuer sa propre mère. Mais avec Elif Safak, les choses ne sont jamais simples, et l'auteure a décidé de pimenter son roman en adoptant la structure narrative du puzzle. Le récit alterne continuellement les points de vue, chaque chapitre étant l'occasion de s'attarder sur un passage marquant, un tournant, un choix, un moment déterminant dans les histoires personnelles. Lire Crime d'honneur est un embarquement littéraire sur cette rivière décousue qu'est la vie, symbolisée par ce ballottement entre les périodes (des années 40 jusqu'aux années 90), les lieux (Londres, Istanbul, le Kurdistan turc) et les personnages (Adem le père, Pembe et Jamila les soeurs jumelles, Iskender/Esma/Yunus les enfants). Cette structure popularisée au cinéma par le 21 grammes d'Inarritu, devient courante dans la littérature. Je l'avais récemment appréciée chez Jennifer Egan et son Qu'avons-nous fait de nos rêves ?, je l'ai à nouveau adorée avec Crime d'honneur. On pourrait croire que le puzzle sera fastidieux et opaque, qu'il va perdre le lecteur et le laisser sur le bas-côté en cours de route. Au contraire, il procure une rythmique entraînante à la narration, ce qui se traduit par une furieuse envie d'avancer dans l'histoire, d'autant que cette dernière ne cesse de s'éclaircir tout en gagnant en densité. Que l'on me comprenne bien, on ne lit pas Crime d'honneur, on le dévore. Un constat qui peut faire douter de la qualité d'un texte, car derrière le vernis de la virtuosité, le sceptique soupçonne la souillure du page-turner. Je laisse le lecteur juger de l'éventuel péché. Safak ne possède certainement pas la plus belle plume de notre ère littéraire (restons lucides), mais elle est incontestablement une conteuse de génie. Et Crime d'honneur est un conte merveilleux, structuré et mené de bout en bout d'une main de maître par l'écrivaine. 

Le puzzle implique de maîtriser un deuxième talent littéraire : la science du personnage. Varier les points de vue, alterner les épisodes demande en effet de la part de l'écrivain un certain effort de caractérisation. Chaque personnage se doit d'être traité en détail et avec minutie ; chaque personnage doit avoir sa propre profondeur pour que le lecteur puisse s'y identifier. Le puzzle doit se transfigurer en symphonie, et chaque personnage est un instrument qui enrichit la partition tout en participant à l'équilibre harmonique de l'ensemble. Force est de constater que nous retrouvons bien l'auteure de la Bâtarde d'Istanbul et de Bonbon Palace. Elif Safak a produit un bel exercice d'écriture pour composer ces différentes voix (les pages d'Iskender en prison sont à ce point saisissantes). Conséquence de cette réussite, tous les personnages sont attachants. Et je dis bien tous. On les aime dans leur totalité, c'est-à-dire avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs éclats et leurs échecs dramatiques, leur courage et leur résignation.  Elif Safak a d'ailleurs choisi de titrer son roman Iskender en turc, mettant au premier plan le responsable du matricide. Ce n'est donc pas tant de l'acte en lui-même que de l'évolution des personnages dont il est question dans le livre. En comparaison, le titre choisi par Phébus me semble un tantinet racoleur (même face au simple Honour de l'édition originale), surtout lorsque l'on sait que le crime d'honneur est un des stigmates qui collent à la peau des communautés turques. Certes c'est un sujet développé, mais c'est une thématique finalement très secondaire. Il en va de même pour les autres considérations politico-sociales. Le roman met en scène des immigrés dans une Angleterre pré-Thatchérienne, et pourtant le texte ne disserte guère sur les conséquences de l'immigration que ce soit l'acculturation, le racisme ou le repli communautariste. Ce dernier phénomène aurait du occuper une place prépondérante dans le roman (surtout si on le titre Crime d'honneur), mais il n'est que suggéré au travers d'un personnage quelque peu ambigu. Ne cherchez pas non plus un traitement en profondeur de la question politique, puisque le monde des squats marxistes est déconstruit par le regard d'un jeune enfant. Pour être plus exact, il faudrait préciser que tous ces éléments méta-textuels sont présents, mais comme une nécessaire contextualisation. Il fallait bien un décor pour que les protagonistes puissent prendre vie mais ce dernier est finalement assez neutre. En somme Elif Safak préfère la mise en scène à la scène elle-même.

S'il faut s'attarder sur les personnages, c'est que tout passe par eux dans ce roman. Ils sont à la fois la colonne vertébrale du récit, mais surtout les vecteurs de l'émotion. Impossible de ne pas louer la générosité de l'auteure sur ce point. Tout le spectre émotionnel est ainsi restitué avec une grande justesse. Elif Safak retranscrit à la perfection la naissance de l'amour, et les maladresses des personnages peu habituées à le ressentir. L'auteure est à l'aise pour capter les mouvements ou les sensations fugaces, autant de micro-manifestations de ces immenses passions. J'accorderais une mention toute particulière aux chapitres dédiés au petit Yunus. Se fondre dans les yeux d'un enfant est un jeu d'équilibriste périlleux où l'innocence peut se transformer en sensiblerie exagérée, où la pureté des sentiments peut dériver sur une mièvrerie rapidement insupportable. Rien de tel dans Crime d'honneur où l'on rit, on pleure, on s'égare, on s'émeut en compagnie de ce petit garçon, mascotte presque surréelle d'un squat marxisto-punk. C'est encore dans ces personnages que l'on ressent toute la personnalité et même l'intimité de l'écrivain. Lorsque l'on connaît l'attachement de cette dernière à la tradition des guérisseurs en Turquie (notamment à sa grand-mère), difficile de ne pas faire le lien avec le personnage de Jamila, sublime femme indépendante vivant repliée dans les montagnes du Kurdistan. Quelle part d'Elif Safak se retrouve dans la jeune Esma, soeur du meurtrier, narratrice indirecte de ce roman et dont la vocation est la littérature ? Tout ceci est probablement pure spéculation, mais il y a une coloration très personnelle dans Crime d'honneur qu'il est impossible d'ignorer. 

Mesurons nos superlatifs pour conclure sur Crime d'honneur. Certes ce n'est pas le texte le plus brillamment écrit. Certes il n'a pas cette profondeur sociologique ou anthropologique que d'aucuns pourraient regretter. Mais ne pourrait-on pas aimer le récit pour le récit ? Je pense que oui. Si l'histoire est suffisamment émouvante et entraînante, le travail est (en partie) accompli. Quitte à me répéter, Elif Safak est bien une conteuse de génie , et il serait vraiment dommage de passer à côté de son dernier roman qui garantit une lecture gourmande et délicieuse dans sa générosité.