mardi 5 mars 2013

Entre amis, d'Amos Oz

Retour à la littérature, la grande, la vraie, la noble, en la personne de l'écrivain israélien Amos Oz dont nous parvient en ce début d'année le peu épais Entre amis (Gallimard). Mais bon, à l'instar du baril de lessive, la qualité littéraire ne se mesure pas à la quantité de mots, et une petite dosette bien pensée peut aisément blanchir et rafraîchir votre garde-robe intellectuelle. Ah, l'art de l'introduction....

A la croisée du roman et du recueil de nouvelles (Gallimard publiant effectivement Entre amis sous l'appellation nouvelles), la dernière oeuvre littéraire d'Amos Oz se compose de huit cours récits, mais tous reliés par une même unité de lieu, en l'occurrence le kibboutz Yikhat. Que l'on suive les conversations politiques des hommes dans le réfectoire, les relations amoureuses compliquées entre un trio amoureux improbable, la nuit cauchemardesque d'un petit garçon chétif, la veillée du secrétaire lourde de non-dits sentimentaux, le dernier cours d'un intellectuel mourant, Amos Oz offre autant de points d'entrée dans son petit univers. De manière habile, le lecteur est naturellement amené à faire les recoupements, à relier les différentes indices disséminés dans ces tranches de vie apparemment anodines, pour reconstituer le puzzle humain de ce kibboutz et d'en saisir la nature profonde. 

Le kibboutz possède à ce titre avec le camp, l'asile, le monastère une solidarité thématique. La fermeture, le renfermement, l'isolement ont toujours su fasciner dans la littérature. La privation de liberté et d'espace, la surveillance exercée du fait de la promiscuité, font de ces univers clos une compréhension de ce que sont, en reprenant la terminologie Erving Goffman, les institutions totales où l'individu est une entité niée voire broyée. Ranger le kibboutz dans cette catégorie peut sembler exagéré, mais que le renfermement soit volontaire et subi, les exigences et les contraintes de la vie communautaire restent les mêmes. Une telle métaphore institutionnelle des idéologies totalitaires est bien évidemment un puissant terreau littéraire. Mais Amos Oz, à la manière d'un Dostoïevski dans Les Carnets de la Maison Morte, prend le contrepied de la gravité du sujet. Si, en effet, l'on devine l'ascétisme, les parti-pris idéologiques, les tentatives de refonte de la société inhérents au projet des kibboutzim, et combien cet esprit pionnier n'est pas partagé par tous et qu'ici et là le modèle s'effrite, la profession de foi de l'écrivain est ailleurs. Dans chacune de ces courtes histoires, Amos Oz s'attarde avec sensibilité sur les petits gestes, les attentions, les préoccupations et les sentiments qui relient tout le peuple du kibboutz. A travers ces histoires, parfois tendres, parfois poignantes, la démarche humaniste de l'écrivain israélien s'impose d'elle-même, et nous indique que notre humanité repose partout, dans chaque lieu et à chaque instant, quel que soit l'environnement. 

Cette dernière phrase n'est pas dénuée d'une certaine banalité, mais pourquoi se priver de ce type de plaisir ? Pourquoi se détourner de cette littérature, qui derrière l'apparente simplicité de son style et de ses récits, nous transmet toute cette nostalgie d'une humanité qui tend à se perdre et oublie que son destin se joue parfois sur le palier. A ce titre, Entre amis est incontestablement un très beau texte, digne des plus grands romanciers. 

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