jeudi 9 août 2012

Mythe et Super Héros, Alex Nikolavitch

Tout lecteur de comics a pu nourrir à un moment ou un autre de son parcours le questionnement sur les bases symboliques des super héros. Suivre ce chemin, c'est forcément faire le lien avec la mythologie grecque, puis plus largement à s'interroger sur les relations entre religion et comics. Cela trottait dans la tête de votre serviteur depuis quelques temps, et autant dire que ce Mythe et Super Héros d'Alex Nikolavitch tombe à point nommé. 

Dans ma réflexion, je suis arrivé à la conclusion d'une sorte de triptyque que je pourrais résumer ainsi : modernisation des grands récits mythologiques, emprunts directs aux panthéons et érection d'un système quasi divin propre aux différents univers des comics. Si Alex Nikolavitch n'aborde pas le problème sous ces termes, on retrouve ces trois dimensions traitées en profondeur dans l'ouvrage, notamment dans sa première partie intitulée "Mythe et structure" où l'auteur, citant tour à tour Campbell et Dumézil, recherche les invariants mythologiques dans les productions de comics. Se concentrant sur le Golden Age, l'âge de tous les possibles et de toutes les créations, Nikolavich propose une analyse richement argumentée et passe en revue toutes les références qui ont influencé les premiers scénaristes. Se concentrant sur le travail d'identification et d'iconisation des super héros, rien n'est mis de côté : les pouvoirs, les attributs visuels, les drames fondateurs, les quêtes initiatiques, le dyptique mentor/disciple. L'auteur propose aussi une typologie du "méchant", de la menace (Le Double Inversé, le voyou, le Fou, le Fripon, le Dévoyé, le Planificateur, le Nazi et la Menace Cosmique). Alors que nous sortons de Fear Itself chez Marvel, je ne résiste pas à vous citer justement la présentation du Nazi 
Le Nazi tient une place à part dans la galerie des méchants. C'est un méchant absolu, irrécupérable et déclinable à l'infini (au fil des décennies, les comic books ont vu passer des savants fous nazis, des surhommes nazis, des dominatrices nazies, des anciens nazis, des nazis de l'espace et même des singes nazis - dont un Hitler réincarné -, voire des nonnes nazies transexuelles). Le Nazi reste, même hors des comic books, le grand méchant du XXe siècle, corvéable à merci par le scénariste en manque d'imagination. S'il est logique d'oppose Nick Fury ou Captain America à des Nazis ou Captain America à des Nazis, et si les Nazis font partie intégrante du décorum de Hellboy, ils deviennent trop aisément des rustines, alors que la Seconde Guerre mondiale est terminée depuis longtemps. 
La deuxième partie est consacrée aux deux "Ourdisseurs de mythe" : Jack Kirby et  Steve Ditko. L'occasion d'en savoir plus sur la personnalité des deux scénaristes, sur les conditions d'écriture des comics à l'époque et les premières dissensions chez Marvel. Le moyen surtout pour l'auteur de s'attarder sur les créations (et il y en a) des deux scénaristes, tout en retraçant les trajectoires des personnages jusqu'au début du XXIe. L'exercice est intéressant dans le sens où Nikolavich aborde de manière critique les différents challenges imposés par l'emprunt mythologique direct (surtout Thor et le Ragnarok) et par là-même mettre les pieds dans les plats d'une des plus grandes contradictions d'écriture dans les comics. Une partie extrêmement intéressante puisque deux grandes oppositions de style sont décrites, chacune aboutissant à une vision mythique et religieuse différente, et dont le legs sera durable sur un grand nombre de jeunes scénaristes.

L'examen critique continue dans la troisième et dernière partie lorsqu'il s'agit d'aborder la douloureuse question du vieillissement des héros, puis des sempiternelles résurrections, deux points sensibles qui mettent souvent à mal la suspension d'incrédulité du lecteur de longue date. Si cette dernière partie finalement délaisse son sujet premier pour se concentrer sur les créations innovantes à partir des années 80. L'occasion de revenir sur des séries "mythiques" : Watchmen, Sandman, Starman, Stormwatch/The Authority, Swamp Thing, et donc de s'attarder sur l'invasion des talents britanniques dans l'univers des comics. On retrouve notre trame principale quand Nikolavich écrit que cette génération innove dans le sens où elle est la première à considérer les créations de comics comme des mythes à part entière qui font partie de l'imaginaire collectif, et qu'il faut donc les questionner sous les angles les plus divers, philosophique, religieux ou politique. 

A mon humble avis, tout fan de comics se doit de lire Mythe et Super Héros. D'une part parce que le sujet traité est probablement LE sujet lorsque l'on doit penser les comics dans la culture moderne, et d'autre part parce que la question est admirablement traitée.  On sent que l'écrivain est passionné par les comics et qu'il lui tient à coeur de restituer toute la richesse de cette culture. Autant dire que l'on apprend énormément de choses, en dehors de l'aspect mythologique, sur les comics et sur les hommes qui l'ont promu. A ce titre, Mythe et Super Héros est tout autant une étude sérieuse qu'une lettre d'amour rendant hommage à un univers de divertissement porteur des questions les plus fondamentales de l'humanité. 

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