vendredi 17 août 2012

Les Désorientés, par Amin Maalouf


Editeur prestigieux + nom redondant anobli récemment par l’académie, voilà deux (mauvaises) raisons pour ne pas lire a priori un roman. Mais bon, les aléas du mois d’août, l’envie d’essayer autre chose, la volonté d’être au point au moment de la rentrée littéraire, m’ont fait prendre Les Désorientés du dernier immortel en date de la langue française, le libanais Amin Maalouf.  Poids lourd de la littérature française, peut-être le meilleur espoir pour Grasset de viser le Goncourt, à notre tour de disséquer cet imposant texte de plus de 500 pages qui arrivera dans les rayons en septembre. 

 Les Désorientés  raconte le retour du narrateur, Adam, dans son pays natal après un quart de siècle d’exil volontaire, alors qu’un de ses anciens amis est en train de mourir. Historien de métier, il est censé travailler sur une biographie d’Attila, mais son projet prend une autre tournure. Dans l’auberge tenue par une vieille amie, les souvenirs affluent, le passé s’invite dans la chambre d’Adam. Ce dernier ouvre des vieux documents, lit une lettre, puis deux, se remémore ses réponses. Le besoin naît de coucher sur papier les portraits de tous ses amis qui composaient le « cercle des Byzantins » au début des années 70. Alors que l’un d’entre eux rend l’âme, Adam décide d’organiser des retrouvailles officielles, réunir les vivants pour donner un dernier hommage aux morts qui ont secoué le groupe. La tâche est ardue, certains sont partis loin du pays, aux Etats-Unis, au Brésil, ou en Jordanie, et les autres se sont éloignés dans le pays même, se réfugiant dans la religion, que celle-ci prenne la forme de l’Islam radical ou d’un monastère orthodoxe. Les Désorientés relatent ces quinze jours de quête, d’enquête et de requête pour réconcilier passé et présent, entre la chambre de l’auberge et les routes du Proche Orient afin de retisser les liens distendus. 

Amin Maalouf consacre une grande partie de son roman à cette étude du passé. Plus qu’une étude nostalgique qui magnifierait l’âge d’or d’une jeunesse perdue, l’écrivain se livre au dévoilement intégral. Seul ou entouré de ses amis, Adam décide de relater toutes les blessures accumulées, les cicatrices encore ouvertes, les erreurs et les désirs inassouvis, l’éloignement. Si Maalouf explore les « grands sentiments » (l’Amitié, l’Amour, la Mort), l’exercice est toujours subtile, effectué avec précaution, rassemblant tous les points de vue, concédant sur l’intransigeance subjective du narrateur, pour restituer toute la complexité et la profondeur de ces mots que l’on jette si souvent en pâture dans la littérature. Les réflexions sonnent toujours justes, et le concert émotionnel qui se joue dans les pages touche souvent au sublime. Maalouf retient souvent sa plume, et si les mots sont précis et calculés, l’écrivain privilégie des phrases simples, qui coulent, et qui se contentent d’illustrer avec sobriété ce qui bouillonne dans ses personnages. 

Un point sur la contextualisation du roman. De manière évidente, Maalouf joue dans les Désorientés la carte de l’universalisme. En sus du prénom de son narrateur, Adam, l’écrivain opère un certain tour de force en ne mentionnant jamais le pays (son pays) théâtre de son drame humain, en l’occurrence le Liban. Vingt-cinq ans d’exil, cela correspond bien évidemment à la guerre civile qui a ravagé le pays. Le roman, s’il n’est pas essentiellement politique, aborde tout de même à plusieurs reprises cette thématique. C’est la guerre a provoqué les départs, les premiers morts, et les différentes trajectoires opérées par les anciens amis. L’occasion pour Maalouf de faire part de la corruption du Liban, des mains salies par la guerre et qui le sont restées après la paix. Les idées politiques sont également bien présentes. Certes l’écrivain a à sa disposition une galerie archétypale (un juif, un chrétien, un islamiste entre autres) lui permettant de faire le point sur l’état idéologique des pays arabes, mais derrière ces oppositions, c’est une autre douleur qui se révèle, celle de ces jeunes libanais qui souhaitaient dépasser le cadre communautaire de leur pays, purger le Liban de ces divisions stériles et qui n’auront été payés en retour que par le départ ou la mort. 

Les Désorientés est un roman extrêmement riche, particulièrement bien écrit et d’une intelligence rare. Fruit de l’expérience personnelle de Maalouf, ce dernier réussit son pari ambitieux, toucher l’universel en délivrant un testament littéraire destiné à l’humanité entière. Autant dire qu’il faudra suivre de près le destin de ce roman, qui comptera parmi les plus belles réussites de la rentrée littéraire.  

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