mercredi 19 octobre 2011

Entretien avec Watchtower Comics (partie 2)


(Suite de la première partie, avec le grand Mdata de Watchtower Comics)


P : Vaste question : pourquoi faut-il lire du comics ?
W : J’ai bien envie de répondre du tac au tac qu’il faut en lire pour que ça marche et qu’on ait plein de titres ! Blague à part, je dirais que le comic book est une forme particulière de bande dessinée, et qu’il ne faut pas hésiter à en lire si on est attiré par sa structure. Et pour retourner la question, je dirais que je ne vois pas de raison de ne pas en lire : le comic book a certes des mauvais côtés (on peut trouver du gore, de la violence, etc...) mais c’est également le cas du franco-belge et du manga. Plutôt que de faire de la généralisation, il vaut mieux essayer de peser les défauts et qualités des titres en eux-mêmes. Et franchement un album comme « C’est un oiseau » peut tout à fait montrer que les comics ne sont pas abrutissants...

P : Qu’est-ce qui différencie le comics de la bande dessinée franco-belge et des mangas ?
W : Ce n’est pas une question facile. Pour y répondre, je vais faire un peu d’histoire : à l’origine, il y avait les pulps, c’est à dire des histoires imprimées sur du papier de mauvaise qualité. On y retrouve l’aspect feuilleton, et un prix bas. Puis est apparu le comic strip (le terme comics en découlant), c’est à dire des petites histoires (sur une “bande” ou strip) dans les journaux ou magazines. Progressivement est venue l’idée de compiler ces strips en revues, appelées comic books (qui seront bien plus tard compilées en Trade PaperBack, c’est-à-dire en albums). Comparer le comic book et le franco-belge (qui a pourtant également ses origines en presse) revient à comparer deux modèles différents : il y a un aspect feuilleton plus soutenu dans les comics, avec le plus souvent un épisode chaque mois. Les histoires sont donc articulées pour fonctionner sur ce modèle (quoique cela a tendance à changer, les récits “modernes” sont maintenant articulés pour les TPB), alors qu’en franco-belge on raisonne plus en termes d’albums. L’aspect financier est aussi non négligeable, les comics héritant des pulps bon marché revenant moins cher qu’un album de franco-belge (même si la situation est un petit peu biaisée chez nous : les éditeurs comme Panini se contentent d’adapter des licences dont ils ont les droits alors que des éditeurs de franco-belge doivent lancer les projets, rétribuer les auteurs, etc...et ceci a un coût). Sur le plan de la mise en page, le franco-belge est en général plus “sage”, avec des planches alignant bien sagement leurs cases alors qu’un comic book peut avoir des mises en page très spectaculaires. Concernant le manga, par contre je ne saurais pas trop en parler, n’étant quasiment pas lecteur (à part Cobra), même s’il est évident que le format et le sens de lecture forment une différence. Sur le plan du graphisme pur par contre les différences s’estompent, car chaque type de bande dessinée puise ses inspirations dans d’autres types. Ça se voit par exemple avec des titres comme « Empowered » ou « Scott Pilgrim » qui empruntent des codes du manga.

P : Au début de l’entretien, tu as déclaré que "l'envie de lire de bonnes histoires est un puissant moteur", donc est-ce que tu penses que le comics propose de meilleures histoires que ses équivalents français et japonais ?
W : Je ne pense pas. En fait je voulais juste mettre en valeur le fait que je ne lisais plus du comics uniquement pour retrouver mes personnages préférés, mais je me suis mal exprimé ! D’ailleurs je lis aussi du franco-belge, mais beaucoup moins que des comics il est vrai (cet été je me suis fait un petit plaisir, je me suis pris l’intégrale des « Passagers du vent »). Je pense que chaque famille de la bande-dessinée a ses bonnes et ses mauvaises histoires : les séries “de Troy” postérieures au cycle original de Lanfeust (dont le concept me semble usé jusqu’à la corde) sont à mes yeux aussi peu intéressantes qu’Ultimatum... Et inversement je prends autant de plaisir à lire « Scalped » que  « Le fléau des dieux » ou « Universal War One ».

P : Quelles sont les différents sous-genres qui composent le comics ?
W : Le comic book est dominé par ce qu’on appelle le mainstream (soit le comics visant le large public, ndP), c’est à dire les histoires de super héros. D’ailleurs quand on pense “comics”, on pense tout de suite à un gars avec son slip sur son pantalon et une cape. Le mainstream lui-même a ses sous-genres, comme l’urbain (des héros “de rue” comme Daredevil ou Spiderman) et le cosmique (dont Green Lantern est un bon représentant). Mais il y a beaucoup d’autres genres : du polar, du thriller, de l’humoristique, de l’historique, de la SF pure...Le comic book est somme toute un genre assez vaste où peuvent cohabiter « Spiderman », « Walking dead », « Snoopy » et « 100 Bullets » ! Tout dépend de l’histoire que l’auteur veut raconter, c’est un peu elle qui définit le cadre, en dehors du mainstream dont les codes sont assez figés (un auteur de mainstream chez Marvel doit par exemple accepter que son personnage puisse mourir 12 fois, revenir autant de fois et être embarqué dans le super event de l’année).

P : Au regard de ta grande expérience de lecteur, qu’est-ce qui a changé dans la production des comics ?
W : Au niveau de la production, l’infographie a progressivement fait son entrée dans les albums, notamment au niveau de la colorisation et du lettrage. C’est assez flagrant sur « Rocketeer », dont la colorisation d’origine et la nouvelle (signée par la talentueuse Laura Martin) sont à des années lumières l’une de l’autre. Les gros éditeurs sont également de plus en plus gros (principalement le “big two” Marvel et DC), et du coup sont assez figés. Chez Marvel par exemple, c’est assez cyclique au niveau de la production : event (évènement important dans l’univers des superhéros, ndP), status quo, event, status quo, etc...Internet a également pas mal bouleversé la communication des éditeurs, qui ont cédé aux sirènes du buzz (Marvel spoilant ses events non encore terminés !). Pour continuer à parler du big two, il faut aussi voir qu’avec le succès des films, ils sont entrés dans une logique de franchise plutôt que de titres de BD, avec les débordement que cela peut engendrer (comme les idées des films rétro-insérées dans les comics avec la légèreté d’un éléphant dans un magasin de porcelaine). Enfin j’ai l’impression que les comics connaissent des phases, plus ou moins glorieuses. J’ai l’impression qu’en ce moment nous sommes revenus à une situation analogue à celle des années 90, avec une surabondance de crossovers (histoire étalée sur différentes séries, note de Watchtower) et d’électrochocs destinés à faire le plus de bruit possible (la mort de Batman fait écho à celle de Superman dans les années 90).

P : As-tu l’impression que le comics est une forme artistique légèrement sous-évaluée ? (J’ai parfois ce constat que le public jeune lorgne de préférence vers le manga, tandis qu’un public plus mature ira plus volontiers vers la franco-belge)
W : Le problème à mon avis, c’est que le comic book a toujours plus ou moins eu une mauvaise réputation chez nous. D’abord accusé de pervertir la jeunesse, il a été ensuite totalement associé à celle-ci, et ses amateurs ont de ce fait été vus pendant longtemps comme de grands enfants. La conjonction de deux facteurs, à savoir la popularité des films et le phénomène de “mode” autour du geek (qui est devenu chic), change doucement la donne. Ça n’a l’air de rien, mais c’est très agréable de pouvoir acheter du comics chez un libraire lambda sans être regardé de travers (du vécu quand j’ai repris les comics et que j’achetais mon Wolverine en face de chez moi). Mais le manga reste très implanté, propulsé par les animes qui ont rendu populaires ses codes et je ne vois pas à moyen ou long terme le comic book arriver à dominer son homologue nippon. Quant au franco-belge, il est vrai qu’il garde encore la préférence du public français, par tradition (ce que je comprends, dans ma famille on lit du Tintin de père en fils, de mon grand-père à mon fils). Il faut voir aussi que l’offre en franco-belge et manga est beaucoup plus conséquente que l’offre comics en France (et beaucoup plus mise en avant), ce dernier ayant de plus l’avantage d’être peu onéreux. Mais vu l’intérêt montré par des éditeurs jusque-là moins présents dans le domaine des comics (je pense à Dargaud notamment), peut être que le vent va tourner...


P: Le monde du comics est de plus en plus touché par la tendance de la numérisation des numéros, qu’en penses-tu ?
W : J’avoue que j’ai du mal à comprendre cet engouement. Pour moi la lecture passe par un contact tactile important avec le livre (sans oublier le parfum inimitable du livre neuf), la lecture sur écran casse ce lien privilégié que l’on établit avec lui. Pour moi un livre papier est un peu comme un compagnon, que l’on respecte, que l’on transmet alors qu’un livre numérique n’est qu’une simple information, une chimère électronique faite de 0 et de 1. Après je ne jette pas la pierre aux amateurs de numérique, qui ont sûrement de très bonnes raisons de s’y intéresser, mais ce n’est clairement pas mon truc.

P : Où effectues-tu le plus tes achats ?
W : En comic shop. J’ai la chance d’en avoir un juste à côté de mon travail, donc le midi il y a très souvent un petit crochet... En vacances, je me débrouille en fonction de ce que je trouve, le plus souvent en kiosque ou maison de la presse. Je recours très peu à la vente par correspondance, ayant eu pas mal de soucis avec mes colis. Je vais régulièrement à Paris avec mon frère, histoire de dégotter quelques petits extras (bon là j’ai fait un break mais je vais bientôt y retourner !).

P : Quelle a été l’importance des librairies dans la construction de ta culture comics, et aujourd’hui  quelles sont tes relations avec « ton dealer préféré » (pour reprendre une des expressions) ?
W : Mes relations avec mon “dealer préféré” sont au beau fixe, il me conseille bien et je lui achète plein de trucs ! Blague à part mes relations avec les libraires ont toujours été pour moi une grande source d’inspiration, j’adore discuter avec eux sur telle ou telle série. Trouver un libraire qui sache bien guider le lecteur vers tel ou tel livre suivant ses goûts, c’est comme trouver un trésor...d’ailleurs mon “dealer préféré” m’a bien souvent donné envie d’essayer des titres qui ne m’attiraient pas de prime abord et je n’ai jamais eu à le regretter : je pense notamment à « DMZ », « Gigantic » ou « 52 » qui n’avaient absolument pas retenu mon attention. J’ai beaucoup de respect pour les libraires, qui à mon avis font un bien beau métier.



Nous voilà arrivés au terme de notre première discussion avec Franck/Mdata de Watchtower, que je remercie encore chaleureusement pour sa disponibilité et pour nous offrir ce magnifique lieu virtuel qu'est son site internet. J'ose espérer que cet entretien vous aura intéressés, car nous vous nous retrouverez (prochainement peut-être pas, mais restez aux aguets tout de même) pour une prochaine rencontre Préambule/Watchtower où nous nous attarderons sur la production mainstream des superhéros. 

A très bientôt à Préambule, sur le blog et sur Watchtower, en attendant, passez du côté obscur de la Force et lisez du comics !!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire