dimanche 29 avril 2012

Merci, François Bégaudeau

Je préfère annoncer la couleur pour ce billet qui tiendra plus d'un jet de colère qu'autre chose. Je tiens à signer ce billet personnellement, en tant qu'Adrien, simple employé Préambule, sans engager collectivement la librairie, sachant que François ou Claudine ne partagent certainement pas l'acidité de ce qui va suivre.

Depuis le samedi 28 avril, se déroule à Cassis la 24ème édition du Printemps du Livre, manifestation littéraire relativement célèbre, et qui n'a en tout cas pas à rougir au regard des célèbres écrivains qui y ont participé. En tant qu'unique librairie cassidaine, nous sommes (je ne dirais pas naturellement, mais au moins logiquement) associés à l'évènement, en vendant les ouvrages des conférenciers, tout en organisant une table de signatures. Traditionnellement, le Printemps du Livre a lieu le dernier week-end d'avril et le premier week-end de mai, et en ce soir de dimanche 29 avril, je tenais à partager les vives émotions qui m'ont animé.

Les protagonistes de cette histoire ? Et bien la quasi-totalité du parterre d'écrivains qui ont inauguré cette 24ème édition : Tonino Benacquista, Pascal Bruckner, Eric Fottorino, Delphine de Vigan et Morgan Sportès. A l'image de la complexe chaîne du livre, rarement l'éloignement de l'auteur et du libraire n'aura été à ce point criant. Pour dire les choses plus prosaïquement j'ai eu peu d'occasions de constater une telle incivilité de la part d'une catégorie d'individus. Pas une, et je n'exagère rien, pas une des personnes susnommées n'est venue nous saluer, nous, humbles libraires. Bien évidemment, nous ne prétendons pas, dans le cadre d'une éphémère rencontre littéraire, entrer dans l'intimité de nos hôtes estimés, échanger nos numéros de téléphone dans la promesse d'un futur dîner pour refaire le monde des livres. Je suis un jeune libraire, mais j'ai passé l'âge de la naïveté. Par contre, je ne pense pas qu'un simple "Bonjour !", ou un innocent "Comment ça va ?", ou même un laïus inespéré sur la météo ou sur la beauté de notre village méditerranéen, soient hors de portée de nos prestigieux lettrés de la capitale. Ah, mais voilà que point dans mon discours le célèbre antiparisianisme de ces envieux de provinciaux ?  

Non, bien sûr... enfin, pas tout à fait, tant les écrivains ont versé d'eux-mêmes dans le cliché. Que Morgan Sportès suinte son orgueil de vieil écrivain pseudo-classique, soit. Mais qu'il nous évite un "Voyez comme je vous aide à vendre", après avoir fourgué un de ses poches à un innocent passant, cinq minutes avant de s'engouffrer dans son taxi. Il fallait peut-être ça pour oublier un après-midi de disette où la foule a magnifiquement ignoré son chef d'oeuvre construit autour d'un sordide fait divers. Que Pascal Bruckner exhibe sa nouvelle conquête, bien évidemment plus jeune et attirante que lui, pour mieux ignorer tout ce qui l'entoure, soit. Mais qu'il nous épargne également des comportements dignes du dernier des Bourbons, intimant à sa compagne d'attendre Paris pour acheter un livre (peut-être sera-t-il offert là-bas ?), et se présentant par un lapidaire "C'est où la salle ?". Sa seigneurie Bruckner, peut-être écorné par les maigres ventes à Cassis de ses inepties anti-écolo, nous aura tout de même gratifié d'un distant "Au revoir" lâché du bout des lèvres, saluant les gueux du livre avant de retourner dans son confort parisien. Que Fottorino nous sauve le week-end avec "Tout son monde", soit. Mais sommes nous à ce point invisibles pour ne mériter aucune parole ou sourire ? Que Delphine de Vigan regarde la plèbe du haut de ses prix littéraires, soit. Mais est-ce que ces succès bâtis sur l'exhibitionnisme facile et familial (et un battage médiatique particulièrement accommodant) l'exonèrent de la plus sommaire des règles de savoir-vivre ? J'adresse une mention spéciale à son compagnon, l'influent et omniprésent François Busnel, lui aussi présent pour l'occasion. Le présentateur de "La Grande Librairie" ne fait visiblement que peu de cas de ses petites, indépendantes, et certainement moins médiatiques, consœurs. Si Busnel a la charité d'accorder quelques minutes dans chaque émission à nos méritants camarades, son sens de l'humanité ne lui commande pas d'entamer le dialogue avec un libraire quand il a l'occasion d'en voir un. 

Je ne sais comment interpréter ces entorses aux règles comportementales les plus élémentaires, que les plus jeunes de nos clients doués du langage respectent pourtant dès lors qu'ils passent notre porte. Le mauvais voyage en première classe ? Une désagréable nuit dans le plus luxueux des hôtels cassidains à la vue imprenable sur la mer ? Je préfère miser sur cette satanée météo, particulièrement pernicieuse en cette fin de mois d'avril, alternant le vent et la pluie, le chaud et le froid, et qui n'a sans doute pas satisfait les attentes de nos stars littéraires, toutes lunettes fumées au dehors, et à qui on avait dû vendre un Sud de la France ensoleillé et doux. Plus sérieusement, mon amertume ne peut se retenir, parce que malgré les distances, géographiques, sociales et symboliques, nous faisons partie du même monde. Si une librairie telle que Préambule n'est pas un plateau télé, elle n'en reste pas moins un lieu essentiel au partage de la culture. Nous lisons les livres (pas tous, bien sûr), nous les conseillons (pas tous, bien sûr), nous donnons l'envie de les lire, nous échangeons autour des écrivains et de leurs œuvres, nous convainquons les indécis ou les réfractaires. Il me semble que l'actualité incitait aussi à l'échange, autour de cette contestée et contestable hausse de la TVA, qui impacte tant la chaîne du livre. Les difficultés des uns seront les difficultés des autres, au même titre que nous sommes liés par un même amour, et, ne nous voilons pas la face, par le même intérêt. Apparemment, en matière de culture, la célèbre maxime chiraquienne s'applique : "ça en touche une sans bouger l'autre".

Pour terminer, je ne dirai que ceci : merci François Bégaudeau, merci à lui, à sa disponibilité et grâce à qui nous avons pu, un court temps, communier dans la passion commune qui nous habite. Merci François Bégaudeau pour avoir été un simple être humain ce samedi 28 avril.

Adrien

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