lundi 30 avril 2012

Archanges : 12 histoires de révolutionnaires sans révolution possible


Fuyons la sinistrose qui a pesé sur ce week-end, car les grâces de la littérature accompagnent toujours avec bonheur le lecteur passionné. Si le Printemps du Livre de Cassis s’est révélé particulièrement décevant à plus d’un titre, un magnifique ouvrage m’a tout de même bercé pendant ces derniers jours. Si j’ai choisi le blog pour vous faire part de ce coup de cœur, c’est que le livre en question est une réimpression des éditions Métailié. Annonçons donc en grande pompe le retour sur nos étals d’Archanges : 12 histoires de révolutionnaires sans révolution possible, par le non moins fameux biographe du Che, Paco Ignacio Taibo II


Taibo II propose avec Archanges douze récits, d’hommes et femmes aux horizons divers, et nous emmène en Russie, en Allemagne, au Mexique, au cœur de la Guerre d’Espagne ou en Angola. Douze parcours dont le trait commun est d’avoir embrassé la cause révolutionnaire. Une révolution qui les a remerciés en leur livrant combats, souffrance et destin tragique. Archanges aurait tout aussi pu s’intituler « histoires populaires de la Révolution », puisque ces hommes et femmes partagent ce statut de semi-anonymes. Leadeurs ou précurseurs d’une cause, ils et elles sont en effet suffisamment connus pour que leur nom ait pu transpercer l’Histoire, ayant parfois laissé quelques écrits de leur expérience militante. Anonymes, ils le sont, car ils sont en retrait des Grands Hommes qu’ils ont pu côtoyer, et sont in fine condamnés par l’échec de leurs tentatives. Aux yeux de Taibo II, ils sont cependant tous suffisamment admirables pour les tirer hors des limbes mémorielles. Ce qu’il écrit à propos de Rivera vaut pour l’ensemble des douze.

On ne fait plus d’hommes comme lui. Les meilleurs d’entre nous ne sont que de pâles ombres à côtés du vieux Rivera. Nous devrions recouvrir cette tombe aujourd’hui disparue, cette tombe inexistante, d’une interminable pluie de fleurs rouges.
Heureusement qu’il reste l’histoire.
Heureusement qu’il reste la mémoire.

Une des premières qualités d’Archanges se trouve justement dans la démarche adoptée par Taibo II. Si l’on a en tête l’écrivain de polar ou le journaliste engagé, il ne faut pas non plus oublier que l’homme est aussi universitaire, et comme tous les historiens a cette passion de la recherche et du détail. On imagine Taibo II plongé au fonds des archives, épluchant les articles, à la recherche d’une miraculeuse photo ou d’une coupure de presse pour entériner un fait, ouvrir de nouvelles pistes, et restituer la vie d’hommes et de femmes que tout le monde a oubliés. Lorsque la difficulté devient trop importante pour l’historien qui n’a que de rares et épars éléments dans ses mains, l’écrivain entre en jeu et rajoute une flamme fictionnelle ou spéculative, varie les angles narratifs pour rendre un dernier hommage sans trop trahir le personnage célébré. Une admirable combinaison de précision historique et de nécessaire fiction narrative avec cette même démarche d’humilité pour rétablir dignité et honneurs à ces combattants.

Nous, les historiens, n’avons pas la possibilité de narrer des histoires comme celles-là. Nous savons bien qu’elles nous dépassent, que nous leur ôtons la vie en les racontant, que le seul lieu précis, exact, le réduit qui leur appartient, c’est cette vague chose que nous ne pouvons pas définir, mais dont nous savons tous qu’elle existe et que nous appelons la mémoire collective des peuples. Voilà son lieu, et c’est à lui seul que ces histoires appartiennent.

On aurait tort de faire de ce livre une simple apologie romantique de la Révolution. Un fil rouge lie ces différentes histoires qui sont d’ailleurs en résonnance avec la trajectoire singulière du Che. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elles se déroulent quasiment toutes à la même période, entre les années 1910 et 1930. Creuset des aspirations et du bouillonnement révolutionnaires, où les injustices et privilèges sont perçues de plus en plus intolérables, Taibo II insiste ainsi sur la légitimité et le courage des différentes tentatives, quand tout reste à faire et où l’échec est synonyme de mort. Cette effervescence a rapidement cédé le pas à une certaine désillusion, pour mieux s’incliner devant une nouvelle oppression : la révolution institutionnalisée dont les premières mesures ont toujours été de briser ces militants de l’action, indépendants et parfois irréfléchis. Par le destin funeste des révolutionnaires russes ou allemands de la première heure, Taibo II règle indirectement ses comptes avec le stalinisme et le bureaucratisme totalitaire qui ont étouffé à partir des années 30 ces velléités de soulèvement collectif et égalitaire. Ce n’est pas un hasard si les douze sont si étrangers ou réfractaires à la glose marxiste ou léniniste, à tout travail théorique qui abstrait jusqu’à désubstantialiser l’impératif de leur lutte, à toute position officielle dans une administration synonyme de compromission. En somme, ces archanges personnalisent et incarnent à leur manière l’idéal de leur cause, la Révolution pure et immuable, avant que d’autres hommes ne la pervertissent et ne la décrédibilisent durablement.

Il est certain que ce livre n’est pas destiné à tous les lecteurs, car il est idéologiquement marqué et tout le monde ne peut pas être sensible au choix de vie des douze protagonistes. Pour tous les autres, si comme moi vous l’aviez ignoré en 2001, il faut se ruer sur ce bijou, passionnante étude littéraire et émouvant testament politique. Merci à Paco Ignacio Taibo II d’avoir sorti du néant ces anonymes, et par là même occasion de les avoir immortalisés.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire