Les Dossiers de Hellblazer : Pandemonium
Contient Hellblazer Pandemonium (graphic novel) : Jamie
Delano/Jock et Hellblazer #181 : Mike Carey/Jock
Quoi de tel qu’une bonne
recension d’un Hellblazer alors que l’on vient d’apprendre que la chaîne
américaine NBC annonce la mise en route d’une séries TV Constantine ? Vous
pourriez rétorquer qu’on s’en fiche comme du slibard de votre conseiller général,
et vous auriez raison car il est fort peu probable qu’une production
télévisuelle grand public puisse capter toute l’énergie d’une série shootée à la
subversion. Si encore HBO avait été choisie par la Warner, on aurait pu avoir
un peu d’espoir… mais je m’égare. Après tout, ce qui nous intéresse, c’est que
nos frenchies de chez Urban n’ont pas oublié notre Majax britannique. Même si l’éditeur
n’a toujours pas décidé de lancer/relancer le chantier de Hellblazer comme il
le fait pour d’autre bijoux de chez Vertigo, Urban nous balance des « dossiers »
dont le présent Pandemonium est le deuxième opus. Un petit mot s’impose sur la
place qu’occupe le recueil dans l’univers de la série. Prévu originellement
pour l’année 2008, Vertigo attend 2010 pour publier le graphic novel. La date n’est
pas anodine, puisque il s’agit de fêter les 25 ans de John Constantine depuis
son apparition en 1985 dans les pages du Swamp Thing d’Alan Moore. Pour cette
histoire, le mythique label fait les choses plutôt bien en rappelant rien moins
que l’écrivain historique de Hellblazer en la personne de Jamie Delano. Cerise
sur le gâteau, Jock, encore un britannique, rejoint l’aventure. Une valeur sûre
(The Loosers) pour illustrer un script qui doit rentrer dans les annales.
L’histoire justement, que
vaut-elle ? Les afficionados de Hellblazer savent que cette série c’est un
petit peu comme du Simenon. La structure narrative est plus ou moins identique,
mais le lecteur est toujours transporté par la variation des univers où le
blondinet fout son bazar, et des dialogues percutants qui magnifient le cynisme
grande gueule de notre héros. Comme par hasard, Pandemonium ne change pas trop
la donne et l’on retrouve (avec plaisir) les passages obligés : la vision
d’un Londres toujours changeant, Constantine qui se trouve dans la merde, qui
enquête sur la menace du jour, qui se retrouve dans une merde encore plus
sombre et par un Deux Ex Machina baise tous ses adversaires. Tout l’intérêt
tient donc dans le contexte des aventures magiques : l’Irak, version
occupée par la coalition Anglo-Américaine, pays dans lequel est dépêché
Constantine, pour le coup manipulé dans le feutré par les services américains
(et son entrejambe complice). Aucun intérêt à ce que je vous dévoile d’autres
éléments sous peine d’inévitables et inutiles spoilers.
Il y a toujours un risque avec
les comebacks ou les légendes du comics qui s’accrochent à une stature qu’ils
ne justifient plus. Preuve en est avec Jim Sterlin qui se fourvoie sur son
Stormwatch ou un Alan Moore en mode vieux con qui s’est mis à dos tous les
talents du comics contemporain. C’est loin d’être le cas avec Pandemonium où l’on
retrouve un Delano des grands jours. A la lecture des premières pages, l’esprit
originel de Hellbazer réenchante notre tome cartonné comme si la patte de l’écrivain
ne nous avait jamais quitté malgré les 20 ans de hiatus. Loin de moi l’idée de
minimiser les runs d’Ennis, Azzarello, de Diggle ou de Carey, mais il y a ce
petit quelque chose chez Delano qui vous chope à la gorge. En 1987, Hellblazer
n’était pas seulement un comics trashouille sur la magie. Parallèlement l’écrivain
britannique avait toujours distillé son regard corrosif sur la Grande-Bretagne version
Thatcher, et les dégâts d’un changement de paradigme économique, comme si les
forces démoniaques étaient décuplés par le chaos social de l’époque. Ce côté de
témoin de son temps est toujours présent dans Pandemonium, ce qui tranche avec
ce que font en même temps Diggle ou Milligan sur l’ongoing. Après tout, le
sujet choisi (l’Irak, la guerre, l’occupation) s’y prête particulièrement. On
connaît l’attrait de Vertigo pour la thématique martiale (cf les Scènes de
Guerre d’Ennis, le Soldat Inconnu, Les Seigneurs de Bagdad), mais Delano lie
magistralement le sujet avec Hellbazer. La guerre impérialiste a remplacé le
libéralisme sauvage, mais apportent les mêmes effets. Les démons et autres
divinités se repaissent des charniers et la désorganisation générale d’un pays
laissé à l’abandon et où règne la terreur arbitraire. Entre le surnaturel et
les innocents se dresse notre Constantine qui incarne plus que jamais une
certaine éthique humaine (un comble pour cet égoïste invétéré) nécessaire pour
survivre en contexte chaotique. On sent que Delano est écoeuré du monde qui l’entoure
et se sert de l’anarchisme vengeur d’un Constantine à qui il laisse libre cours
dans son final. Que le fan se rassure, les fondamentaux sont toujours là, mais
Delano a mûri, son personnage aussi (il a 54 ans après tout).
J’ai peu de choses à dire sur le
dessin de Jock, c’est très bien pour du Hellblazer. C’est en tout cas dans le
ton des univers graphiques que l’on connaît chez Carey ou Milligan. Comme par
hasard, Urban a décidé de rajouter en bonus l’épisode #181 de Hellblazer,
scénarisé par ce même Carey et illustré par Jock. Difficile de comprendre ce
que cet épisode vient faire dans le recueil. Le côté Champion’s League (match à
l’extérieur/à domicile) ? Publier tout le travail de Jock sur la série ?
Pas vraiment de cohérence puisque le #181 n’est pas tout à fait un one-shot et
introduit les premiers éléments du grand plan de Carey pour son run, le premier
arc (#175-180) ayant servi à rapatrier un Constantine exilé aux USA. On ne va
pas s’en plaindre, mais on ne va pas non plus crier au génie éditorial.
Il n’empêche que Les Dossiers de
Hellblazer : Pandemonium est un sublime album, et par voie de conséquence,
incontournable pour le fan de la série ou le néophyte qui souhaiterait une
bonne histoire qui se suffit à elle-même. L’ensemble est brillamment écrit,
politiquement intelligent (loin d’un moralisme gauchisant hors de propos avec
Constantine), et ténébreusement jouissif. Du pur Hellblazer qui démontre que
devant papy Delano on s’agenouille et on dit merci.
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