Dans ce billet, je prends à
nouveau quelques libertés avec les « règles » que nous nous étions
fixées sur les espaces d’expression Préambule. Pour la première fois en effet,
je vais chroniquer un roman policier sur ce blog. Il faudrait préciser que mes
dernières lectures se situent dans cet entre-deux très pénible pour le
critique, du « certainement pas mauvais, mais certainement pas très bon ».
Autant admettre que les deux derniers coups de cœur Préambule flirtaient
dangereusement sur cette ligne, sans vouloir manquer de respect à Marc-Edouard
Nabe et à Haruki Murakami (à qui cela fait une belle jambe, j’imagine). Bref,
attelons-nous au premier polar de Karim Miské, Arab Jazz, édité chez Viviane
Hamy.
Comme dans tout giallo qui se
respecte, on commence par un meurtre, celui de la jeune et jolie Laura Vignola
dans son appartement. Mutilée et disposée selon une scénographique à l’esthétique
douteuse, c’est Ahmed, son voisin qui a la primeur de la découverte de cette
sauvagerie. Ahmed est lui un dépressif chronique qui fuit le monde et fait du
roman policier son seul lien avec l’extérieur. Prisonnier de sa rêverie
perpétuelle, le meurtre de cette femme qui l’aimait (sans qu’il s’en doute)
réveille ses sentiments et l’amène sur le sentier de la vengeance. Il est
rapidement confronté au duo de policiers chargé de l’enquête, les lieutenants
Hamelot et Kupferstein, qui vont creuser dans le passé de la victime ainsi que
ceux des habitant du 19ème arrondissement de Paris.
Je préfère rester vague sur l’intrigue,
sans quoi je gâcherais inévitablement le plaisir intrinsèque à toute lecture de
roman policier. Disons simplement que l’auteur tresse un imbroglio religieux
entre juifs radicaux, musulmans salafistes et Témoins de Jéovah sur fond de trafic
de drogue (ce que vous apprendra d’ailleurs la quatrième de couverture). L’intrigue
en elle-même, sans être révolutionnaire, est en tout cas suffisamment efficace
pour que l’on soit pris par le roman. Pour ce qui est des personnages, Karim
Miské a manifestement un goût pour les marginaux qui échappent à tous les
préjugés que l’on pourrait se construire. Ahmed, ancien agent de sécurité dans
un garde-meuble est un prolo érudit en littérature, surtout policière,
passionné de musique, en tout cas détonne par sa culture générale. Idem pour le
couple de policiers, tout en subtilité, en intelligence, et eux-aussi assez portés
sur la chose culturelle. Même les personnages secondaires sortent relativement
de l’ordinaire, et traduisent la profession de foi de l’écrivain de nous
proposer des hommes et des femmes qui peuvent nous surprendre pour mieux
susciter l’intérêt de son lecteur, et le cas échéant son empathie.
Alors qu’est-ce qui ne fonctionne
pas, ou fonctionne moins dans ce premier roman policier ? Que Miské soit
lui-même un grand amateur de romans policiers n’est évidemment pas un défaut.
Le problème est qu’il en inonde son roman de références, comme autant de clins
d’œil appuyés au lecteur averti. A croire que Miské est touché du syndrome de l’artiste
se sachant condamné à ne produire qu’une œuvre, et en profite pour mettre tout
ce qui a pu le toucher dans son processus de consommateur culturel. Exemple
révélateur, son allégeance à James Ellroy (Arab Jazz étant lui-même une
référence à White Jazz, qui conclut le quatuor de LA du maître californien),
est prétexte ici à créer un rapprochement aussi profond que soudain entre deux
personnages clés du livre, ce qui donne au contraire une drôle impression de
superficialité psychologique. Pourtant, Miské aurait pu s’inspirer d’Ellroy
dans la composition de l’intrigue. Pour les non-initiés, Ellroy procède
toujours à une reconstitution brillante des pièces du puzzle gargantuesque qu’il
construit dans les dernières pages, pour mieux époustoufler le lecteur qui n’aura
rien vu venir. Ici, nous connaissons le nom du coupable aux deux tiers du
livre, ce qui fait malheureusement retomber le suspens. Le dernier point
négatif tient à une peinture sociale qui n’est finalement pas si convaincante.
Qu’il soit sensible aux questions du communautarisme religieux et instille par
là-même son expérience de documentariste est une démarche louable. Mais le
résultat se limite à une simple contextualisation spatio-temporelle, sans qu’il
n’y ait un nécessaire retour réflexif sur les cadres sociaux actuels. Le
salafiste est salafiste, le Témoin est un Témoins, le juif est un juif, et le
19ème restera toujours le 19ème.
Ce roman est donc raté, objecterez-vous
après ce paragraphe assez négatif. Non, car les premières pages du roman sont
extrêmement prometteuses au niveau du style. Des phrases courtes, quelques
mots, toujours justes, des images tour à tour percutantes ou poétiques, des
interludes musicaux qui bercent le lecteur. Rajoutez à cela une introduction
parfaitement maîtrisée des personnages, et vous obtenez l’ébauche d’un véritable
chef d’œuvre de littérature française. La présentation du commissaire Mercator
est toutefois symptomatique de la suite, Miské construit autour de lui une
scène quasi mystique, et se sent aussitôt l’obligation de rajouter l’image de Marlon
Brando dans Apocalypse Now. Mais pourquoi appuyer sur la référence ?!!
Soit on comprend la référence et on l’apprécie, soit on ne la comprend pas, et
on passe à travers sans que cela soit dommageable.
Je dirais en conclusion qu’il
manque au moins 200 pages dans ce roman pour en faire autre chose que l’esquisse
de ce qu’il aurait dû être, à savoir un roman solide, dense, riche et complexe.
Nous sommes en présence d’une agréable mais vaine rêverie parisienne, ce qui
est tellement regrettable au vu du potentiel du récit, et surtout de son
écrivain.
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