mardi 27 mars 2012

New 52 : Resurrection Man et Animal Man

Suite de cette review des news 52, avec deux séries. Elles ont un point commun : ce sont toutes des importations du label Vertigo. Autre point de ressemblance : elles sont susceptibles de connaître une édition française. Place donc à une fournée de grande qualité avec Resurrection Man et Animal Man.

Resurrection Man (#1-6) 

Au moment du relaunch, je me souviens avoir rapidement investi dans les premiers numéros des Red Lanterns et de Stormwatch. A cette époque, DC avait l’habitude de conclure ses fascicules sur des entretiens avec les équipes créatrices de toutes les séries des New 52. Les seuls noms d’Andy Lanning et Dan Abnett (les anciens messieurs cosmiques de Marvel) ainsi qu’un pitch pour le moins alléchant m’avait donc incité à faire l’investissement.  

Difficile de faire un résumé de ces six premiers numéros, car il n’est pas aisé de trouver une cohérence dans ce premier arc narratif, qui n’en est pas vraiment un. Nous y suivons les premiers pas de Mitch Shelley qui s’est dernièrement éveillé au monde en état d’amnésie complète. La seule chose dont il se rend compte, c’est qu’il est immortel, du moins qu’il est continuellement rappelé de la mort, avec en bonus un nouveau super pouvoir à chaque résurrection. Les premiers numéros sont ainsi l’occasion de le suivre à la recherche de son identité et de son passé. Certains indices le guident vers une maison de retraite où un vieil homme affirme connaître son défunt père. Pour compliquer les choses, il est poursuivi par deux tueuses, physiquement intelligentes et particulièrement balaises, Maria et Carmen, pour le ramener dans un mystérieux laboratoire. Et il faudrait compléter le tableau noir de notre amnésique en rajoutant que ses résurrections à répétition ont agacé les patrons des cieux qui ont décidé d’envoyé un VRP en destruction pour mettre fin à cette anomalie. Enfin, Mitch se retrouve mystérieusement interné à Arkham. 

Ce petit paragraphe traduit deux aspects de la série. Le premier c’est qu’il y a beaucoup d’actions, de retournements de situations et d’éléments nouveaux à chaque épisode. Le rythme y est trépidant, et on reconnaît cette pâte scénaristique aussi virtuose qu’efficace de Lanning et Abnett. Le deuxième : on apprend aussi que peu de choses sur le passé du personnage, à l’exception d’un cinquième numéro qui fait office de flashback et qui distille au bon moment quelques informations pour ne pas jouer éternellement le jeu de la carotte avec le lecteur. Ce dernier est donc tributaire du point de vue de Shelley et colle à son voyage initiatique. Et comme le  hasard fait bien les choses, le rythme de la narration compense largement les points d’ombre de l’histoire. Comme toutes les séries qui ont fait le pas de Vertigo vers DC, le ton y est d’ailleurs résolument adulte, puisque les deux compères ne lésinent pas sur les morts à répétition de leur protagoniste et sur l’univers sombre et inquiétant qui se dessine peu à peu autour de Shelley. Cerise sur le gâteau, l’humour est aussi présent dans Resurrection Man, que ce soit dans les situations improbables dans lesquelles le héros est empêtré et au détour de quelques pointes sarcastiques dans les dialogues. La palette du duo est donc complète, et malgré l’apparent bazar de la série, on les sent parfaitement sûr dans la direction qu’ils comptent emprunter à l’avenir. 

Passons au dessin, où il y a peu à dire. Deux dessinateurs ont œuvré (c’est un peu la mode du relaunch, varier à tout va les équipes artistiques) sur ces six premiers numéros. Fernando Dagnino (présent sur les #1-4 et #6) livre des planches qui touchent au sublime. Sombre, détaillé, dynamique, son style s’adapte parfaitement au rythme et la tonalité de Resurrection Man. On attend impatiemment chacun des retours à la vie de Shelley pour admirer les manifestations graphiques des nouveaux pouvoirs qu’il obtient. Fernando Blanco joue les intérimaires pour l’épisode consacré au flashback. C’est quand même un bon cran en dessous, mais comme cela sert la diversification des cadres narratifs, cela ne dérange pas. 

Resurrection Man est un must-have du relaunch, et il faudrait déjà commencer le lobbying auprès d’Urban pour obtenir sa publication en version française (à moins que la série ne soit déjà dans les cartons de la fournée de septembre prochain). Lanning et Abnett sont encore en pleine forme, et cela fait plaisir de les voir sur cette série extrêmement prometteuse, et qui j’espère s’installera pour un bon bout de temps dans le panorama des New 52. 

Animal Man (#1-6) 

Suite à la longue intervention dans l’émission 21 de Kultur Breakdown, François Hercouët avait titillé mon intérêt en vantant les mérites d’Animal Man, ce qui m’avait poussé à faire l’investissement des premiers numéros. Ne connaissant là encore rien du travail qui avait été fourni sur le label Vertigo, c’était là encore une bonne occasion de combler mes lacunes. 

Un petit point peut-être sur les capacités d’Animal Man. Enlevé par des extra-terrestres, Buddy Baker dispose du pouvoir d’invoquer toutes les caractéristiques des espèces animales présentes sur Terre. En somme, il peut voler, frapper très fort, courir très vite, ses sens sont exacerbés. Au début de la série on retrouve Buddy menait une tranquille vie famille, avec sa femme, son fils et sa fille. Après une première intervention où notre héros solutionne une prise d’otage dans un hôpital, Buddy souffre de mystérieuses hémorragies, et son corps se recouvrent de tatouages. C’est au même moment que les pouvoirs de sa fille se manifestent que cette dernière est étrangement consciente de l’endroit où son père trouvera réponse à toutes ses questions. Ce qui tombe plutôt bien, puisque de sinistres et morbides créatures apparaissent bien déterminer à récupérer la fillette, et accessoirement mettre un joli boxon sur la planète. 

D’après ce que j’avais pu lire rapidement sur le net (merci Wikipedia), Jeff Lemire opère ici une certaine refonte du personnage et redéfinit ses origines. Pour sa première intrigue, il tisse une nouvelle mythologie autour d’Animal Man. Récupérant certains éléments des cosmologies shamanistes ou animistes, il structure son récit autour des Avatars, personnages-notions par définition, et de la guerre à mort qu’ils sont amenés à se livrer. Ici, il est surtout question de la lutte entre la Vie animale et la Pourriture, mais il est annoncé que d’ici peu Swamp Thing sera mis à contribution, lui-même représentant de la Vie végétale (voire plus, si l’on se réfère à Brightest Day). Ici et là, Lemire brode également sur la thématique des conséquences de la vie et des combats d’un super-héros sur sa famille, thème plus connu et passage généralement obligé pour les supers estampés « urbain ». Toutefois, comme sa famille se retrouve assez rapidement mêlée à la « guerre des Avatars », ces six premiers numéros consacrent la part belle à l’action et à l’exposition de l’univers particulier Animal Man. Un équilibre qui est parfaitement respecté par Lemire, qui est à l’aise dans chacun des registres qu’il est amené à mobiliser. 

Parlons maintenant du dessin. Personnellement, j’ai été surpris, voire très surpris, de découvrir ce type dessin dans des pages DC. C’est très très sombre. C’est très très gore. Manifestement l’équipe artistique a reçu carte blanche, et force est de constater qu’ils se sont faits particulièrement plaisir. Il est évident que lorsque l’on aborde la notion de Pourriture, le dessin doit suivre, mais je ne m’attendais pas à que le concept soit à ce point respecté. Tout le numéro est donc baigné dans un onirisme morbide, aussi révulsant qu’attirant. La colorisation ne fait pas dans le clinquant et illustre à merveille la tonalité très adulte de la série. Pour donner une idée, je pense que ce type de planche ne dénoterait absolument pas dans les pages d’Hellblazer. C’est dire. Le dessin peut faire débat, mais moi j’adore. 

J’ai l’impression de me répéter à chaque conclusion de mes critiques. Soit je suis chanceux, soit je suis très bon public en tout cas je conseille particulièrement cette série, qui doit être dans mon Top 3 du relaunch (en attendant certains poids lourds qui sortiront en Vf). Tous les lecteurs qui sont habitués à Vertigo se doivent de se ruer sur Animal Man tant ils se retrouveront en terrain connu, mais dans le contexte super-héroïque. Pour les autres, laissez-vous tenter par cette atmosphère si particulière. Pour une fois qu’on nous balance du super en mode ultra mature, il serait dommage de bouder son plaisir. On ne peut que féliciter DC pour ce courage éditorial, et le lectorat se doit d’appuyer ce type d’initiative. D’ailleurs Urban, on vous attend vivement sur ce petit bijou.

Je vous donne rendez-vous à la mi-avril pour la (vraie) fin de ce tour d’horizon des New 52 avec Swamp Thing (que je n’ai pas encore eu le temps de lire).

A bientôt

New 52 : Stormwatch, Justice League Dark.

Nouvelle chronique consacrée aux séries DC du relaunch New 52. Cette fois-ci, je me focaliserai sur les séries qui n’auront vraisemblablement que peu de chance (à court terme du moins) d’être traduites en français, mais qui valent tout de même le détour. Elles ont aussi le point commun de rassembler certains personnages qui ne sont pas des créations DC per se, mais appartiennent originellement aux autres labels de sa galaxie (Vertigo, Wildstorm).

Stormwatch (#1-6)

Stormwatch reprend l’ancienne appellation de la fameuse série de Wildstorm, marquée par une excellente fin de run de Warren Ellis pour donner ensuite naissance à une petite révolution dans le monde du super-héros : The Authority. Peu avant le relaunch, Wildstorm avait définitivement fermé ses portes, et il était donc presque naturel que de voir arriver certaines petites têtes du label se mêler aux cadors de la DC. Pour tous les lecteurs de Stormwatch et de The Authority, la première lecture sera peut-être un peu douloureuse, puisque Cornell opère une refonte (quasi-totale) de l’équipe. La série est en quelque sorte un mélange de The Authority (aux yeux du roaster de l’équipe), de SHIELD à la Hickman, et bien sûr de Stormwatch pour le nom, la station spatiale, et la subordination à un cabinet de l’ombre dont on ne sait rien. Venons-en au récit de ces premiers numéros, qui partent tambour battant. Cornell multiplie en effet les enjeux : recruter des nouveaux membres (en l’occurrence un Apollo et un Midnighter très récalcitrants), gérer une menace extra-terrestre qui veut (comme toujours) détruire la Terre, et surtout régler de gros problèmes de cohésion interne. Dès les premiers épisodes le leadership d’Adam (aussi vieux que Mathusalem, conseiller de l’ombre des plus grands hommes de notre histoire) est mis à mal, notamment par une Ingénieure beaucoup plus bavarde et imposante que son homologue wildstormienne. La cohésion empire lorsque Harry « The Eminence of Blades » Tanner trahit l’équipe et kidnappe un des membres de Stormwatch. 
Je vais justement un peu me focaliser sur ces personnages, pour prévenir les habitués de l’univers Wildstorm de ce qu’ils auront sous les yeux :
Martian Manhunter : bon rien à dire sur lui en particulier. Toujours sage et détaché.
Adam : leader contesté par l’ensemble de l’équipe.
Harry Tanner : un spécialiste du combat à l’arme blanche. Censément le meilleur.
The projectionnist : première fois que je suis confronté à ce personnage. Elle est capable de manipuler l’ensemble des médias, notamment pour préserver l’anonymat total de Stormwatch, en particulier vis-à-vis des autres équipes de super-héros.  
L’Ingénieur : elle conserve  à peu près l’ensemble de ses pouvoirs par rapport à l’univers Wildstorm. Au même titre qu’elle était en charge du Porteur, il en va de même pour la station spatiale de Wildstorm. Un poil plus bavarde et dirigiste.
Jack Hawksmoor : Toujours le prince des villes, pieds nus et relativement doué au combat. Ici Cornell innove en invoquant des avatars des villes. Si les forces urbaines restaient toujours plus ou moins abstraites chez Wildstorm, elles sont ici perceptibles, dotées d’une personnalité propre et prennent forme pour communiquer avec Jack.
Midnighter/Apollo : ils ont globalement les mêmes pouvoirs, mais avec un nerf important. Midnighter n’est plus une brute ultime, puisqu’il n’est pas stipulé qu’il a déjà joué tout affrontement un million de fois dans sa tête. Il est suggéré qu’Apollo puisse rivaliser avec Superman, mais il semble quand même moins puissant. Pour ce qui est de leur homosexualité, peu d’éléments (après tout ils viennent de se rencontrer). Mais, un petit indice déjà… à voir. 
Jenny Quantum : elle est toujours un des enfants du siècle. Cependant elle est clairement moins puissante que dans The Authority. Si elle est toujours capable de mobiliser les avancées de la physique du XXIème siècle, cela reste limité. Elle reste en tout cas bien moins mature et badass que son homologue, en tant que jeune fille polie et réservée. Pour moi, c’est le grand choc, sachant qu’elle a toujours été un personnage extrêmement fort dans The Authority, et à mon sens le meilleur personnage féminin tous comics confondus. 

Pour ce qui est des dessins, c’est globalement très réussi. Je n’ai pas grand-chose à en dire, sinon qu’il faut apprécier les effets photoshop pour les pouvoirs. Ça reste dans les standards actuels du comics, et donc très agréable, d’autant qu’une série comme Stormwatch se doit d’assurer à ce niveau-là. 

Alors que dire de Stormwatch ? Qu’il faut vraiment oublier ce qui a été fait sur Wildstorm (même si quelques petits clins d’œil se glissent ici et là). Si elle a le nom et une partie du concept de Stormwatch, avec une équipe composée aux 3/4 des membres de The Authority, elle reste une équipe parmi d’autres de l’univers DC. Moins bourrine, moins mature, la série vaut quand même le détour de par son rythme particulièrement rapide et de très bonnes idées visuelles qui rendent sa lecture particulièrement agréable. Passés ces quelques avertissements, je pense que tout lecteur peut y trouver son compte.   


Justice League Dark (#1-6)

Toute nouvelle série chez DC, qui a profité du relaunch pour modifier sensiblement et à la marge son univers en introduisant un nombre non négligeable de personnages issus de Vertigo. Dans le cas de la Justice League, ce sont John Constantine et Shade qui font le pas. Pour être plus honnête, c’est la troisième apparition du célèbre magicien anglais qui avait exhibé ses guibolles dans les pages DC, en suivant consciemment Swamp Thing. On l’avait aperçu dans une page jouissive de Brightest Day puis dans l’aftermatch de l’event, Search for Swamp Thing. Etant un fanboy absolu du personnage, c’est uniquement pour lui que j’ai fait l’investissement. 

Pour résumer l’ambiance de la série, je dirais qu’elle est plus Dark que Justice League. Cette dernière appellation est d’ailleurs relativement usurpée, puisque la série rassemble les personnages les plus individualistes et les plus frappés du cigare qui soient. Le tampon « Justice League » est en fait un clin d’œil, puisque les membres les plus honorables de la vraie Justice League (Superman, Wonder Woman, Battalion) se font sévèrement poutrés en essayant de raisonner une enchanteresse qui a littéralement pété les plombs. Face à une menace magique, c’est une équipe de magiciens ou d’habitués des emmerdes surnaturelles que tente de rassembler une Madame Xanadu elle-même au bord de la folie après avoir contemplé ce que le futur réservait à l’ensemble de la planète. On retrouve donc Madame Xanadu, Zatanna, Deadman, Shade et John Constantine, en alliés de circonstance pour régler la folie sanguinaire qui agite l’humanité. On se rend d’ailleurs compte des autres séries (souvent issues de Vertigo) qui sont potentiellement concernés par ce type de cataclysme : Animal Man, Resurrection Man, Frankenstein : agent of S.H.A.D.E.S, I vampire. Les cinq premiers numéros sont ainsi concentrés sur la mise au pas des sorts de l’Enchanteresse, tandis que le dernier agit comme un petit bilan du travail d’équipe et surtout comme une transition vers le futur premier crossover des New 52 entre Justice League Dark/I vampire

A titre personnel, j’apprécie énormément le travail effectué ici par Milligan. Cela faisait pas mal de temps que je voyais son nom revenir sur un certain nombre de séries intéressantes, et Justice League Dark était une bonne occasion pour juger de la qualité de sa plume. On sent le vieil habitué des intrigues magiques (il est depuis 2009, le scénariste de Hellblazer, un des plus longs runs de la série), et il est parfaitement à l’aise dans cette facette de l’univers DC. Idem pour dépeindre une des plus belles brochettes de désaxés, et plus spécialement un John Constantine en parfait salaud qui pense avant tout pour sa pomme. Oubliez les bons sentiments et les grands discours sur les bienfaits de l’effort collectif. Comme le dit Constantine « j’en ai rien à carrer du monde, mais si ce dernier est détruit, il en va de même pour moi ». Milligan s’amuse à réunir des protagonistes qui n’ont aucune envie de collaborer, et appuie sur les sentiments de défiance ou d’hostilité ouverte qui les anime en permanence. Respectueux des travaux précédents, ils nous donnent aussi les suites de la romance improbable de Dove/Deadman, entamée dans Brightest Day, un des points les plus émouvants de l’event de Geoff Johns. Dommage qu’il quitte le navire après le cross-over, mais vu qu’il rejoint Stormwatch, on ne va pas se plaindre. En plus, on gagne Jeff Lemire, auteur de l’excellent (et en cours de lecture) Animal Man

Au niveau du dessin, il y a des choses à dires. Bon déjà, les couvertures sont sublimes. Ensuite, le style de Janin ne fera pas forcément l’unanimité. Après le premier numéro, je trouvais son trait magnifique. Sur les suivants, en faisant plus attention, j’avais vraiment l’impression de contempler un joli travail effectué sur ordinateur. Cela reste souvent plus que correct, mais dès que l’on passe sur les gros plans, c’est beaucoup trop lisse, et des rendus de visage qui m’ont un peu gêné. Par exemple, dans le deuxième numéro, Dove (habillée en civil) a un aspect « poupée gonflable » qui est assez dérangeant et out of the character. Par contre toutes les planches qui appuient les scènes de destruction et de carnage sont souvent somptueuses, et les effets magiques « photoshopés » sont également globalement de bonne facture. Une tonalité souvent mature, avec quelques effets gores bien venus puisqu’ils collent bien à l’ambiance très adulte de la série. 

Je me suis donc régalé avec Justice League Dark, qui est un petit coup de cœur personnel. L’ambiance tranche beaucoup avec ce que l’on a l’habitude de voir dans la majeure partie des New 52, et cette série est une des plus « adultes » qu’il m’ait été permis de lire. Je vais donc continuer avec désormais pas mal d’attente cette série, et peut-être même investir dans les deux numéros de I vampire qui constituent le cross-over Rise of the Vampires. 

lundi 26 mars 2012

Arab Jazz, de Karim Miské


Dans ce billet, je prends à nouveau quelques libertés avec les « règles » que nous nous étions fixées sur les espaces d’expression Préambule. Pour la première fois en effet, je vais chroniquer un roman policier sur ce blog. Il faudrait préciser que mes dernières lectures se situent dans cet entre-deux très pénible pour le critique, du « certainement pas mauvais, mais certainement pas très bon ». Autant admettre que les deux derniers coups de cœur Préambule flirtaient dangereusement sur cette ligne, sans vouloir manquer de respect à Marc-Edouard Nabe et à Haruki Murakami (à qui cela fait une belle jambe, j’imagine). Bref, attelons-nous au premier polar de Karim Miské, Arab Jazz, édité chez Viviane Hamy. 

Comme dans tout giallo qui se respecte, on commence par un meurtre, celui de la jeune et jolie Laura Vignola dans son appartement. Mutilée et disposée selon une scénographique à l’esthétique douteuse, c’est Ahmed, son voisin qui a la primeur de la découverte de cette sauvagerie. Ahmed est lui un dépressif chronique qui fuit le monde et fait du roman policier son seul lien avec l’extérieur. Prisonnier de sa rêverie perpétuelle, le meurtre de cette femme qui l’aimait (sans qu’il s’en doute) réveille ses sentiments et l’amène sur le sentier de la vengeance. Il est rapidement confronté au duo de policiers chargé de l’enquête, les lieutenants Hamelot et Kupferstein, qui vont creuser dans le passé de la victime ainsi que ceux des habitant du 19ème arrondissement de Paris. 

Je préfère rester vague sur l’intrigue, sans quoi je gâcherais inévitablement le plaisir intrinsèque à toute lecture de roman policier. Disons simplement que l’auteur tresse un imbroglio religieux entre juifs radicaux, musulmans salafistes et Témoins de Jéovah sur fond de trafic de drogue (ce que vous apprendra d’ailleurs la quatrième de couverture). L’intrigue en elle-même, sans être révolutionnaire, est en tout cas suffisamment efficace pour que l’on soit pris par le roman. Pour ce qui est des personnages, Karim Miské a manifestement un goût pour les marginaux qui échappent à tous les préjugés que l’on pourrait se construire. Ahmed, ancien agent de sécurité dans un garde-meuble est un prolo érudit en littérature, surtout policière, passionné de musique, en tout cas détonne par sa culture générale. Idem pour le couple de policiers, tout en subtilité, en intelligence, et eux-aussi assez portés sur la chose culturelle. Même les personnages secondaires sortent relativement de l’ordinaire, et traduisent la profession de foi de l’écrivain de nous proposer des hommes et des femmes qui peuvent nous surprendre pour mieux susciter l’intérêt de son lecteur, et le cas échéant son empathie. 

Alors qu’est-ce qui ne fonctionne pas, ou fonctionne moins dans ce premier roman policier ? Que Miské soit lui-même un grand amateur de romans policiers n’est évidemment pas un défaut. Le problème est qu’il en inonde son roman de références, comme autant de clins d’œil appuyés au lecteur averti. A croire que Miské est touché du syndrome de l’artiste se sachant condamné à ne produire qu’une œuvre, et en profite pour mettre tout ce qui a pu le toucher dans son processus de consommateur culturel. Exemple révélateur, son allégeance à James Ellroy (Arab Jazz étant lui-même une référence à White Jazz, qui conclut le quatuor de LA du maître californien), est prétexte ici à créer un rapprochement aussi profond que soudain entre deux personnages clés du livre, ce qui donne au contraire une drôle impression de superficialité psychologique. Pourtant, Miské aurait pu s’inspirer d’Ellroy dans la composition de l’intrigue. Pour les non-initiés, Ellroy procède toujours à une reconstitution brillante des pièces du puzzle gargantuesque qu’il construit dans les dernières pages, pour mieux époustoufler le lecteur qui n’aura rien vu venir. Ici, nous connaissons le nom du coupable aux deux tiers du livre, ce qui fait malheureusement retomber le suspens. Le dernier point négatif tient à une peinture sociale qui n’est finalement pas si convaincante. Qu’il soit sensible aux questions du communautarisme religieux et instille par là-même son expérience de documentariste est une démarche louable. Mais le résultat se limite à une simple contextualisation spatio-temporelle, sans qu’il n’y ait un nécessaire retour réflexif sur les cadres sociaux actuels. Le salafiste est salafiste, le Témoin est un Témoins, le juif est un juif, et le 19ème restera toujours le 19ème.  

Ce roman est donc raté, objecterez-vous après ce paragraphe assez négatif. Non, car les premières pages du roman sont extrêmement prometteuses au niveau du style. Des phrases courtes, quelques mots, toujours justes, des images tour à tour percutantes ou poétiques, des interludes musicaux qui bercent le lecteur. Rajoutez à cela une introduction parfaitement maîtrisée des personnages, et vous obtenez l’ébauche d’un véritable chef d’œuvre de littérature française. La présentation du commissaire Mercator est toutefois symptomatique de la suite, Miské construit autour de lui une scène quasi mystique, et se sent aussitôt l’obligation de rajouter l’image de Marlon Brando dans Apocalypse Now. Mais pourquoi appuyer sur la référence ?!! Soit on comprend la référence et on l’apprécie, soit on ne la comprend pas, et on passe à travers sans que cela soit dommageable. 

Je dirais en conclusion qu’il manque au moins 200 pages dans ce roman pour en faire autre chose que l’esquisse de ce qu’il aurait dû être, à savoir un roman solide, dense, riche et complexe. Nous sommes en présence d’une agréable mais vaine rêverie parisienne, ce qui est tellement regrettable au vu du potentiel du récit, et surtout de son écrivain.

lundi 19 mars 2012

New 52 : la suite de la critique (Aquaman, BTDK, Action Comics)

Nouveau billet, et nouvelle critique des comics liés à l’univers des New 52 depuis le relaunch de septembre dernier. Alors, cette fois-il faudra être un peu plus spéculatif et imaginer que les séries que je vais aborder seront effectivement éditées en librairie par Urban comics (François Hercouët avait d’ailleurs plus ou moins lancé des pistes lors des premiers entretiens qu’il avait accordés). Je traiterai donc d’Aquaman, Batman : The Dark Knight et d’Action Comics.

Aquaman (#1-6)

Ah…Aquaman ! Dans mon esprit Aquaman restera toujours plus ou moins lié au préservatif dans une fameuse scène du film 40 ans toujours puceau. Enfin disons qu’il part d’assez loin, et que le grand architecte de l’Univers DC, Geoff Johns, avait fort à faire avec le personnage. Il faut cependant confesser que Johns témoignait d’une sympathie assez forte pour Aquaman dans l’event Brightest Day, qui agissait déjà comme une réhabilitation, et qu’Aquaman règne sur une énorme partie du monde dans l’univers parallèle Flashpoint

L’histoire d’Aquaman démarre à Amnesty Bay alors qu’Aquaman et Mera vivent une vie de couple paisible dans une coquette maison isolée sur une falaise. Une menace (sous-marine évidemment) guette  les habitants du village lorsque des créatures à l’origine inconnue se ruent sur eux, pour les dévorer ou les enlever. Alerté par l’adjoint du shérif, Aquaman et Mera mènent l’enquête et partent à l’assaut de cette espèce belliqueuse. Cette partie du récit concerne les numéros #1-4, les deux autres sont plutôt consacrés aux conséquences de ce qui a été découvert sous les mers, et sur les causes réelles de la disparition d’Atlantis. Le récit de Johns est composé de plusieurs thématiques, la première étant liée à la dimension héroïque d’Aquaman. Johns joue habilement avec le manque de réputation du personnage auprès du lectorat, pour en faire héros raillé, ignoré par la population normale, aussi bien ignorante de sa mythologie intrinsèque (le coup de la ceinture) que le nom de sa femme (que tout le monde ne cesse d’appeler Aquawoman). Ce récit œuvre donc comme une réhabilitation totale du personnage puisque Johns doit aussi bien convaincre le lecteur que les acteurs d’Amnesty Bay. Cependant Johns ne se contente pas seulement de ça, car il lie l’impopularité d’Aquaman à une quête identitaire plus profonde. Aquaman et Mera sont deux personnes qui ont fui leur destinée, et ont fait vœu de protéger un monde auquel ils n’appartiennent pas et qui ne les acceptent pas entièrement. Entre le monde de l’eau et celui de la terre, leurs âmes balancent et sont continuellement questionnées, et Johns transcrit admirablement ce fil du rasoir sur lequel les protagonistes sont placés.

Au niveau du dessin, rien à redire, les planches de Reis et Prado sont magnifiques. C’est classique, du moins ça reste dans les canons actuels des productions DC, mais c’est détaillé et beau. Les poses iconiques sont sublimes, comme les effets d’eau du pouvoir de Mera, donc c’est un sans-faute. 

En conclusion, Johns signe ici une série qui est tout simplement excellente. Je n’attendais rien du personnage, mais le travail est là, et l’empathie joue à fond avec notre couple de héros. Il est vraiment intéressant de constater la capacité de Johns à livrer des séries solides et à varier les différents univers de la maison DC. La seule chose que l’on puisse espérer, c’est qu’il reste aussi longtemps sur Aquaman que sur Green Lantern.

Batman : The Dark Knight (#1-6)

La série BTDK est assez récente, puisque ce nouveau titre a été lancé peu après le Batman : Incorporated de Grant Morrison. son premier arc narratif est d’ailleurs actuellement disponible en version française chez Urban Comics sous le titre Batman : la nouvelle aube. Sachant que ce même éditeur exclue ce titre de son futur magazine Batman Saga, je me disais qu’il serait intéressant de savoir ce qu'il valait. 

L’histoire est assez classique. De nombreux prisonniers d’Arkham se sont (encore) échappés, et il revient au détective masqué de se lancer sur leurs traces. Sa surprise est d’autant plus grande qu’il se rend compte que chacun des super-vilains qu’il rencontre est drogué par un anabolisant développant de manière monstrueuse leur musculature tout en accentuant leur déséquilibre mental. Jenkins a pris d’ailleurs le parti d’orchestrer tout un récit sur la peur, que ce soit via la drogue qui révèle les obsessions les plus enfouies des super-vilains, que dans les rapports qu’entretient Batman avec elle. Il a d’ailleurs recours à beaucoup de monologues intérieurs de Batman, autant de dissertations sur la notion de peur et sur la place qu’elle a occupée dans sa trajectoire individuelle d’orphelin devenu héros. Toutes les critiques que j’ai pues lire sur BTDK ont été catastrophiques, pointant à chaque fois la nullité d’un scénario qui ne comprend rien à Batman et traite par-dessus la jambe son intrigue. C’est un peu exagéré selon moi. Sans être transcendant et souffrant de la présence d’un surdoué sur la série phare (Scott Snyder), l’histoire n’est pas forcément désagréable. C’est un all-star Batman, avec une galerie fournie en nemesis, mais aussi en alliés avec l’apparition de Flash et de Superman. On retrouve ainsi la présence d’éléments, certes peu originaux mais relativement efficaces, de l’univers Batman (les toxines d’Ivy ou de Scarecrow, la haine de Bane) qui font somme toute passer un bon moment de lecture. 

Le site Comicsblog lui avait attribué la sévère note de 2,5/5, en tenant uniquement compte des dessins. Car il est vrai que l’art de Finch est sacrément beau. Un dessin très fin, un character-design très efficace (notamment sur les méchants bodybuildés), une attention très particulière aux formes avantageuses de la gente féminine (notamment une White Rabbit en mode cosplay Playboy), sont les points forts du pinceau de Finch. Le rendu des scènes d’action est donc très convenable, et compense en partie le manque d’originalité du scénario. 

Batman : The Dark Knight, n’est certainement pas la meilleure série des New 52, et peut-être que cela refroidira les ardeurs d’Urban pour une publication vf. Cependant je ne pense pas que ce soit une purge totale, et je dois même avouer avoir préféré ces six premiers numéros à Batman : la nouvelle aube. Pour les lecteurs au budget modeste, je leur conseille de faire l’impasse, mais pas forcément pour les afficionados de Batman, d’autant que BTDK sera aussi mêlé au cross-over sur la Cours des Hiboux.

Action Comics (#1-6)

Après avoir officié si longtemps sur différentes séries de Batman, Grant Morrison profite du relaunch de la DC pour s’attaquer à un autre mastodonte, Superman. Avec un nom si prestigieux sur une série qui a rapidement conquis l’Amérique, il serait étonnant de ne pas voir Urban comics la proposer dans les rayons des librairies françaises. 

Action Comics est une série un peu particulière puisque elle se déroule cinq ans avant dans le continuum de l’univers DC. Il est donc question d’un Superman plus jeune, qui a quitté Smallville depuis quelques temps, puisque Clark Kent est déjà un journaliste dans le Daily Star, concurrent du Daily Planet dans lequel il officiera plus tard et rejoindra Lois Lane ainsi que son ami Jimmy Olsen. Les quatre premiers numéros s’attachent sur la question de la publicisation d’un super-héros, et sur les conséquences sociales, éthiques et sécuritaires que cela implique. Superman se révèle au monde, et loin des lauriers qu’il est censé recevoir, subit une sévère chasse à l’homme, affronte les mécontentements d’une population qui n’est pas prêt à ce genre de défi, tout en la défendant d’une menace cosmique. Grant Morrison varie de manière jouissive les genres et distille les premiers éléments du passé dramatique de Kal-El qui ignore encore tout de son passé et de ses origines. C’est également l’occasion d’introduire son plus grand ennemi, un Lex Luthor aussi dénué de scrupules que dangereux. Les deux autres numéros mettent en scène la Légion des Super Héros et le Superman du futur dans un imbroglio spatio-temporel autour de la navette spatiale qui a amené Kal-El sur Terre. Il s’agit ici de protéger le passé d’un jeune Superman qui n’est pas à son plein potentiel, et en amenant la Kryptonite comme artefact fondamental à la fois de sa survie que de la découverte de son passé et de son héritage. Un mini-arc plus exigeant pour mon anglais imparfait (ce qui est généralement récurrent aux scénarios plus complexes de Morrison), mais qui se raccorde à l’idée d’un Superman qui n’a pas encore tous ses pouvoirs et qui doit peu à peu prendre conscience de sa surpuissance et des responsabilités que cela implique. Des passages souvent obligés dans la gestation archétypale, mais que l’on se régale de (re) découvrir. Il faut ajouter que l’on retrouve à la fin des numéros des mini-récits sur la jeunesse des Kent, souvent empreint d’une nostalgie poignante qui sert bien la série. 

Au niveau du dessin on retrouve  Morales et Bryant sur les quatre premiers numéros, pour un rendu souvent très correct. Certaines cases (surtout dans le premier numéro) sont absolument somptueuses, c’est plus variable dans les autres, surtout au niveau de  l’expression faciale de certains personnages (Lois Lane a parfois de très vilaines moues, sans que l’on sache si c’est intentionnel de la part des dessinateurs). Ensuite on retrouve le grand Andy Kubert, pour un résultat classique, à savoir très correct mais rarement transcendant. Moins aléatoire que Morales et Bryant, mais je trouve cela parfois vraiment en deçà. Pour les mini-récits, la qualité du dessin chute sensiblement, mais sans que cela nuise à la lecture, puisque les dialogues compensent largement les défaillances graphiques. 

Action Comics est selon moi une très bonne série que l’on se doit de se procurer,  soit dès à présent en vo en achetant les premiers numéros disponibles ou en attendant le premier TPB. Nul doute qu’Urban publiera cette série, tant sa qualité est évidente, habile mélange d’éclat héroïque, d’interaction humaine et de réinterprétation de la mythologie du kryptonien le plus célèbre du monde des comics.