lundi 8 octobre 2012

Retour sur la Braderie de Cassis

La Braderie de Cassis, ça y est, c'est fini. Organisée les samedi 6 et dimanche 7 octobre, c'est l'ensemble des commerçants cassidens qui investissaient le pavé pour proposer leur came à prix plus ou moins raisonnable. Le problème avec certains magasins à Cassis, c'est que même bradée, la fripe reste hors de prix, mais c'est ça c'est une autre histoire. Bon, ouf, c'est enfin terminé, et on aura plus à souffrir l'horrible play-list du malheureux DJ engagé par la mairie, et qui nous aura cassé les oreilles pendant tout le week-end. L'avantage de la musique d'ascenseur c'est qu'il y a une certaine continuité thématique. Là non, on passait du funk à de la variété française pour enchaîner sur du hip-hop et revenir au funk. Et tout ça en quatre morceaux... 

Mais je m'égare encore. Même si une librairie, d'autant plus à Cassis, ne pourra jamais rivaliser avec les fringues, on s'est dit tant pis, on colle quand au thème général du week-end, et nous aussi on va solder du lourd. Donc notre équipe s'est transformée en une sorte de créature hybride, mi-libraire, mi-épicier, parce que oui chez Préambule, la littérature se brade au poids et se vend au kilo. 

Voici quelques photos de l'événement en question. 

Merci à tous celles et ceux qui sont passés nous voir. 

à très bientôt





lundi 17 septembre 2012

Rencontre avec Serge Koster

La Librairie Préambule a le plaisir de recevoir l'écrivain Serge  Koster mercredi 19 septembre à partir de 11 h. Bien connu des fidèles du Printemps du livre pour ses animations savoureuses, Serge Koster est aussi l’auteur de nombreux ouvrages (essais et romans), dont le dernier, "Je ne mourrai pas tout entier" (Éditions Léo Scheer - 2012) s'apparente à une sorte de livre testament, des fragments, des méditations, des souvenirs... la vie d'un homme de lettres.

Une citation :
"D'où me vient le goût d'écrire ? De l'enfance. De l'insuffisance du sentiment d'exister. De la pénurie de caresses. Mais encore, d'où vous vient le goût d'écrire ? Du désir de naître, de se faire connaître, reconnaître, renaître, être né. Et de ne pas mourir tout entier."

Une critique de Jérome Garcin :
Grâce à Léautaud, il s'est révélé sur le tard. La preuve avec ce nouveau recueil de souvenirs où Serge Koster, 72 ans, continue d'écrire sous le manteau élimé du vieux diariste de Fontenay-aux-Roses. Qu'importe à ce juif d'origine polonaise que Léautaud eût été judéophobe: sa dette à son égard est plus forte que les reproches dont il pourrait l'accabler. Sans l'auteur atrabilaire du «Journal littéraire», jamais l'austère Koster n'aurait osé se mettre à nu, se préférer, se mal aimer, avouer sa vanité, abandonner la fiction pour l'égotisme, faire la liste de toutes ses maladies (dont une fistule anale), exprimer son amertume d'être méconnu, peu lu et très pilonné, reconnaître avoir écrit quelques livres «inconsistants», 
vitupérer le milieu littéraire qui l'a souvent négligé, ou donner les noms de ceux avec qui, pour des vétilles et le goût de se fâcher, il s'est brouillé.
Mais la gratitude dont ce livre est plein va bien au-delà de Léautaud. Ici, Koster glorifie la femme de sa vie, la France qui a accueilli ses parents en fuite, les paysans sarthois qui l'ont caché pendant la guerre, son père spirituel Francis Ponge, Claude Lanzmann - «L'avoir connu est un cadeau du destin» -, ou encore Michel Tournier, avec lequel il s'est réconcilié en buvant un monaco. Impossible de ne pas être ému par ce récit d'un écorché vif calmé par la grammaire, d'un fils d'apatrides dont la littérature a été la seule patrie.

Un  témoignage de David Foenkinos :
Je n'avais jamais lu ses romans, ses essais, ses articles. Je l'ai rencontré il y a peu au Printemps du livre de Cassis, puisqu'il anime une fois par an, et depuis 25 ans, les débats de cette manifestation culturelle. « Mon ultime activité publique » dit-il dans son livre. Avec Antoine Spire, ils forment un duo étonnant. Avec l'auteur entre eux, ça prend vite fait la forme d'un hot-dog. On ne sait plus très bien s'il faut tourner la tête à gauche ou à droite. Mais bon, depuis le temps, ils maîtrisent le voyage.  
Serge Koster m'a touché. C'est difficile de savoir pourquoi quelqu'un vous touche finalement. C'est un ensemble de choses assez intimes et qui ne s'écrivent pas. Je l'ai vu assez peu. Quelques bribes de conversation. Il a parlé d'un voyage à New York avec sa femme ; avec un petit sourire mignon, il a dit : « on voyage peu, mais là on s'est fait plaisir ». Ne serait-ce que pour ça, j'ai eu envie de lire son livre. ça commence par l'évocation de ses funérailles. On pourrait imaginer une entrée en matière plus joyeuse, et pourtant, tout à son image, elle est légère et désinvolte comme les musiques choisies. Pour sa mort, il veut du jazz. Rien d'étonnant, il écrit comme les artistes de chez Blue Note. J'ai fait des études de Jazz, alors je me reconnais d'entrée des goûts communs avec cet homme. Ce n'est que le début, tout le livre fut pour moi une succession d'étrangetés et de correspondances. On dit parfois quand on a aimé un livre : « ah j'aurais aimé l'écrire ». Moi, son livre, je crois que j'aurais aimé l'écrire dans quarante ans. Il est l'avenir de ma vie littéraire. Je l'ai déjà lu deux fois. Il m'a fasciné par sa beauté, son élégance, sa pudeur. Page 26, il écrit : « Peut-être suis-je en train d'écrire, encore une fois, un texte sacrifié, sans destin qu'une minorité de lecteurs ». Il n'a pas eu tort. Je n'ai pas l'impression que beaucoup ont parlé de ce texte. Je ne sais pas vous, mais moi ça me touche profondément cette façon d'évoquer un texte sacrifié, alors chaque ligne bat de la densité la plus totale d'un homme. Ce que j'aime, c'est l'absence absolue d'aigreur, d'apitoiement, comme une beauté à la désinvolture que les années nous ont obligés à endosser.  
Le livre fourmille d'anecdotes sur Michel Tournier, Francis Ponge, ou encore Bernard Giraudeau. Les soirées avec Françoise Verny valent aussi le détour. On y lit les belles rencontres, les espoirs d'une grande vie littéraire, les déceptions aussi, les ambitions avortées. C'est le roman de la vie littéraire. Avec, toujours cette question : que reste-t-il ? Sûrement, les pages les plus émouvantes sont sur les vieillards croisés au cours de son existence. Les fins de vie de Jean Dessailly, Claude Roy ou encore Jean Dutourd (tiens encore un point commun, j'avais raconté dans ce blog ma rencontre avec Dutourd...). C'est une question à laquelle je ne cesse de penser. J'ai eu parfois l'impression en lisant ce livre que Serge Koster m'aidait à formuler la confusion de certains de mes sentiments.   Et puis au cœur de son livre, il y a d'une manière incessante, le refrain inépuisable : « la femme de ma vie ». Beaucoup de beauté à ne cesser de mentionner l'acolyte de cette traversée. Je me suis toujours amusé de cette expression : « la femme de ma vie » qu'on prononce lors d'une belle rencontre. Mais là, après cinquante ans passés ensemble, on peut vraiment dire qu'il s'agit de la femme de sa vie. Le soir, ils aiment lire et échanger leurs impression : « Souvent je m'interromps, m'allonge, ferme les yeux, étends le bras vers son flanc, demeure immobile, savourant derechef le sentiment de l'existence à l'état pur, dans le calme murmure du cosmos, en harmonie avec l'univers, tout à son plan, qui est de nous réunir pour l'entièreté du temps où nous serons. A cet instant, la certitude de notre inscription dans le non-être me laisse incrédule. »

Voilà, alors nous vous attendons nombreux mercredi, pour découvrir son livre.
Amicalement votre
Préambule


Signature mercredi 19 septembre 2012, de 11 h à 13 h, à la librairie Préambule, 8  rue Pierre Eydin - Cassis.
Rens. : 04 42 01 30 83

vendredi 7 septembre 2012

L'Effrayable, d'Andreas Becker

Bonjour à toutes et à tous,

en guise de billet, je vous propose de faire écho à notre dernier coup de coeur (à voir ici ), l'Effrayable d'Andreas Becker. Je le mentionne dans la chronique, mais les éditions La Différence ont réalisé une bande-annonce, diffusée dans le réseau cinématographique MK2. Une manière nouvelle de présenter un livre, et si elle ne remplace pas un bon résumé ou un entretien plus classique avec l'auteur, a au moins le mérite de vous faire plonger dans l'univers du roman. La fidélité avec la teneur, la profondeur et la puissance du texte étant parfaitement retranscrite visuellement, vous pouvez donc vous faire une idée de ce qui vous attend dans l'Effrayable.

Et, je le répète, lisez ce livre, conseillez-le, c'est un grand roman, la plus grosse claque de la rentrée.

à bientôt !


jeudi 23 août 2012

Pour seul cortège, de Laurent Gaudé



Ça y est c’est officiel, la rentrée littéraire a débuté et les premiers romans (près de 700 cette année) commencent à peupler nos étals. Cela fait plusieurs billets que je l’annonce, tant pis si je me répète encore, Actes Sud présente sa dream team francophone, et autant vous avouer que j’avais depuis la présentation de juillet nourri de sérieuses attentes autour de certains ouvrages en particulier. Je me suis donc rué sur le roman de Laurent Gaudé, Pour seul cortège, que je me propose de vous présenter aujourd’hui. 

Alexandre, Ericléops, Drypteis. Ces trois voix s’entremêlent dès le début du roman. Alexandre le Grand, sur le chemin de la retraite, s’effondre et doit lutter contre un adversaire plus fort que lui, la maladie. Drypteis, fille de Darius, Empereur des Perses, exilée depuis la mort de son époux, est rappelée auprès du Macédonien, accompagnant une prêtresse qui doit se prononcer sur l’état du mourant. Ericléops, messager d’Alexandre, traverse l’Indus pour porter son augure guerrier dans un royaume lointain. Décapité, sa tête revient vers son maître dans l'espoir de ranimer sa flamme car un nouvel ennemi ose enfin défier le conquérant. Mais Alexandre apprend enfin à mourir. Le cortège funéraire quitte Babylone, tandis que la guerre de succession se prépare. Ptolémée, prétendant au trône, lance ses troupes à la poursuite du corps. Mais dans le vent, dans la terre, des voix se lèvent, les morts rassemblent leurs dernières énergies pour guider l’âme du défunt vers son véritable royaume. 

Difficile d’en dire plus sur la trame de ce court roman, 186 pages à peine, sans gâcher le plaisir du futur lecteur. Dès les premières lignes de Pour seul cortège, nous sommes en tout cas transportés dans l’univers de Laurent Gaudé. L’écrivain saisit toute la gravité du crépuscule d’un règne, les derniers soubresauts d’un conquérant légendaire qui font frémir tout un Empire. Comparable à la chute d’un Dieu qui emporte tous ses fidèles, la mort d’Alexandre se répand comme un murmure dans toutes les provinces, embrase les cœurs des ambitieux et désespère les démunis. Gaudé restitue admirablement ces changements, où les frères de la veille deviennent les ennemis de demain, où la solidarité martiale cède la place à la haine de la division. Il suggère aussi toute la prégnance de l’Empire face auquel les destinées individuelles pèsent peu, placées dans l’arbitraire de sa main aveugle, où la frontière entre la consécration et l’anéantissement est ténue. 

Il faut rendre grâce à Laurent Gaudé pour avoir rompu avec toute prétention historique. Certes, le roman est parsemé de références à la trajectoire d'Alexandre, mais peu lui importe au final. On retrouve ici les affinités de l’écrivain avec la mythologie, car ce qui l’intéresse c’est bien toute la puissance évocatrice d’un telle figure à la frontière du mythe, une fulgurance quasi-divine qui a traversé l’histoire des hommes. Une réflexion revient souvent dans le roman « A qui appartiens-tu Alexandre ? », et c’est bien à cette interrogation (es-tu un Macédonien, es-tu un Perse, es-tu un homme ?) que tente de répondre l’écrivain. En choisissant ces termes de l’évocation, Gaudé renoue avec ses outils favoris en recourant au fantastique et au surnaturel. Les voix dialoguent à travers l’espace, à travers la mort, les esprits hantent encore la Terre qui tremble toujours de la mort du Macédonien. Cela lui permet d’offrir un final (et quel final !) digne des plus belles épopées mythologiques. 

Certains lecteurs se plaignent parfois dans la librairie du « système Gaudé » qui s’essouffle. Il est vrai que l’écrivain réutilise certaines figures de ses précédentes œuvres, notamment celle du messager plus mort que vif dans le recueil de nouvelles Les Oliviers du Négus, et que l’on retrouve cette volonté de retravailler certains personnages historiques pour en retirer la quintessence mythique. Je suis plutôt tenté de dire que Pour seul cortège fait au contraire sens dans l’œuvre globale de Laurent Gaudé, et rassemble plusieurs éléments qui étaient jusque-là disséminés dans ses précédents textes. Soyons plus explicites : Pour seul cortège est un roman magnifique, un souffle épique comme on en a peu aujourd’hui, et un sacré plaisir de lecture à côté duquel il ne faudrait pas passer.

lundi 20 août 2012

Les Lisières, Olivier Adam

Dans notre tour d'horizon de la rentrée littéraire, intéressons-nous aujourd'hui à un autre poids lourd de la littérature française, Olivier Adam (Des Vents contraires, Le Coeur régulier). Lors du dernier mercato littéraire, ce dernier a quitté son équipe de toujours, l'Olivier, pour rejoindre la plus prestigieuse maison Flammarion.  Alors que la campagne des Prix approche, l'essai est-il transformé avec Les Lisières ?

Les Lisières est un récit à la première personne mettant en scène un écrivain, Paul, qui se débat dans sa vie. La quarantaine, deux enfants, divorcé mais toujours amoureux de son ex, hormis les bouffées d'air qui lui apporte les bambins, Paul est noyé dans un vide émotionnel. Pour s'en sortir, ce ne sera pas du côté du travail, car l'inspiration l'a quitté depuis quelques temps, au grand dam de son éditeur. En revanche, Paul se décide à fouiller son passé et remonter aux sources de sa maladie, son malaise permanent. Ceci l'amène à revoir ses amis de banlieue, à faire l'amer constat de leur difficile situation, mais aussi à repenser ses amours lycéens déçus et pourquoi pas, rattraper le temps et les occasions perdus. Une quête en arrière qui le conduit au domicile familial, affronter la froideur d'un père ouvrier et râleur, tandis que sa mère hospitalisée et défaillante mentalement, lâche un secret enterré depuis longtemps. 

Voilà à peu près la trame de cet imposant roman (plus de 450 pages) dans lequel Olivier Adam brasse de nombreux sujets. Bien évidemment il faut adhérer au côté irrémédiablement psychologisant du texte, qui est consacré en grande partie à l'analyse et l'autoanalyse du narrateur tourmenté. Généralement je suis plutôt réticent à ce type de came littéraire, mais l'enchaînement des mots, des sensations et autres réflexions, coule de source, et l'on doit ici rendre grâce à l'écrivain maître de lui et de sa plume. Alors certes, le lecteur retrouvera des thèmes peu originaux : la nostalgie du premier amour, la joie de l'amour parental, les relations distantes avec le père, le bilan de sa jeunesse, la redécouverte de la famille, la jalousie de l'ex. Mais Olivier Adam s'en sort chaque fois avec les honneurs, et tout ceci est traité avec qualité. 

Mais là où le roman gagne en force et en intérêt, c'est quand il se sociologise. Les Lisières est un titre admirable et qui est parfaitement adapté à ce qui est abordé en profondeur dans le texte. Si le narrateur est un homme au bord de son gouffre intérieur, c'est peut-être aussi qu'il se place à la marge de tous les milieux dans lesquels il évolue ou a évolué. Olivier Adam analyse ici la trajectoire d'ascension sociale et culturelle de son narrateur, qui rejette en partie son héritage populaire tout en crachant à la gueule du milieu littéraire type Saint-Germain des Prés. Nulle part chez lui, observateur de la frontière, c'est ce positionnement inconfortable qui est à la racine du mal dont souffre Paul. Olivier Adam revient à la charge du réalisme en accordant une grande attention aux récits de vie des anciens amis que rencontre Paul. C'est l'avantage d'un narrateur qui a le pouvoir de faire délier les langues et la faculté de plus s'intéresser à la vie des autres qu'à la sienne. Ces portraits mettent en scène cette working-class de banlieue qui trime jusqu'à l'aliénation et souffre dans l'indifférence. Le choix d'Olivier Adam pour une langue orale crue, parfois vulgaire est également payant, et rajoute indéniablement en crédibilité. Pour revenir au personnage principal, l'accumulation des références culturelles et autres, font également de Les Lisières, une radioscopie particulièrement précise de notre époque, de nos goûts, que notre narrateur de la lisière regarde souvent de manière ironique renvoyant tous les camps culturels, sociaux et politiques dos-à-dos.

Mine de rien, Les Lisières remplit allègrement son cahier des charges : bien écrit, intéressant et accrocheur jusqu'à sa conclusion, très belle par ailleurs. Très certainement, le livre va faire parler de lui, et saura attirer le lecteur. Encore un candidat crédible, quoiqu'un bon cran en-dessous d'Amin Maalouf,  pour les prochaines médailles automnales.

vendredi 17 août 2012

Les Désorientés, par Amin Maalouf


Editeur prestigieux + nom redondant anobli récemment par l’académie, voilà deux (mauvaises) raisons pour ne pas lire a priori un roman. Mais bon, les aléas du mois d’août, l’envie d’essayer autre chose, la volonté d’être au point au moment de la rentrée littéraire, m’ont fait prendre Les Désorientés du dernier immortel en date de la langue française, le libanais Amin Maalouf.  Poids lourd de la littérature française, peut-être le meilleur espoir pour Grasset de viser le Goncourt, à notre tour de disséquer cet imposant texte de plus de 500 pages qui arrivera dans les rayons en septembre. 

 Les Désorientés  raconte le retour du narrateur, Adam, dans son pays natal après un quart de siècle d’exil volontaire, alors qu’un de ses anciens amis est en train de mourir. Historien de métier, il est censé travailler sur une biographie d’Attila, mais son projet prend une autre tournure. Dans l’auberge tenue par une vieille amie, les souvenirs affluent, le passé s’invite dans la chambre d’Adam. Ce dernier ouvre des vieux documents, lit une lettre, puis deux, se remémore ses réponses. Le besoin naît de coucher sur papier les portraits de tous ses amis qui composaient le « cercle des Byzantins » au début des années 70. Alors que l’un d’entre eux rend l’âme, Adam décide d’organiser des retrouvailles officielles, réunir les vivants pour donner un dernier hommage aux morts qui ont secoué le groupe. La tâche est ardue, certains sont partis loin du pays, aux Etats-Unis, au Brésil, ou en Jordanie, et les autres se sont éloignés dans le pays même, se réfugiant dans la religion, que celle-ci prenne la forme de l’Islam radical ou d’un monastère orthodoxe. Les Désorientés relatent ces quinze jours de quête, d’enquête et de requête pour réconcilier passé et présent, entre la chambre de l’auberge et les routes du Proche Orient afin de retisser les liens distendus. 

Amin Maalouf consacre une grande partie de son roman à cette étude du passé. Plus qu’une étude nostalgique qui magnifierait l’âge d’or d’une jeunesse perdue, l’écrivain se livre au dévoilement intégral. Seul ou entouré de ses amis, Adam décide de relater toutes les blessures accumulées, les cicatrices encore ouvertes, les erreurs et les désirs inassouvis, l’éloignement. Si Maalouf explore les « grands sentiments » (l’Amitié, l’Amour, la Mort), l’exercice est toujours subtile, effectué avec précaution, rassemblant tous les points de vue, concédant sur l’intransigeance subjective du narrateur, pour restituer toute la complexité et la profondeur de ces mots que l’on jette si souvent en pâture dans la littérature. Les réflexions sonnent toujours justes, et le concert émotionnel qui se joue dans les pages touche souvent au sublime. Maalouf retient souvent sa plume, et si les mots sont précis et calculés, l’écrivain privilégie des phrases simples, qui coulent, et qui se contentent d’illustrer avec sobriété ce qui bouillonne dans ses personnages. 

Un point sur la contextualisation du roman. De manière évidente, Maalouf joue dans les Désorientés la carte de l’universalisme. En sus du prénom de son narrateur, Adam, l’écrivain opère un certain tour de force en ne mentionnant jamais le pays (son pays) théâtre de son drame humain, en l’occurrence le Liban. Vingt-cinq ans d’exil, cela correspond bien évidemment à la guerre civile qui a ravagé le pays. Le roman, s’il n’est pas essentiellement politique, aborde tout de même à plusieurs reprises cette thématique. C’est la guerre a provoqué les départs, les premiers morts, et les différentes trajectoires opérées par les anciens amis. L’occasion pour Maalouf de faire part de la corruption du Liban, des mains salies par la guerre et qui le sont restées après la paix. Les idées politiques sont également bien présentes. Certes l’écrivain a à sa disposition une galerie archétypale (un juif, un chrétien, un islamiste entre autres) lui permettant de faire le point sur l’état idéologique des pays arabes, mais derrière ces oppositions, c’est une autre douleur qui se révèle, celle de ces jeunes libanais qui souhaitaient dépasser le cadre communautaire de leur pays, purger le Liban de ces divisions stériles et qui n’auront été payés en retour que par le départ ou la mort. 

Les Désorientés est un roman extrêmement riche, particulièrement bien écrit et d’une intelligence rare. Fruit de l’expérience personnelle de Maalouf, ce dernier réussit son pari ambitieux, toucher l’universel en délivrant un testament littéraire destiné à l’humanité entière. Autant dire qu’il faudra suivre de près le destin de ce roman, qui comptera parmi les plus belles réussites de la rentrée littéraire.  

jeudi 9 août 2012

Avengers vs X-Men #5-8

J'ai délaissé dernièrement le compte-rendu de comics, et je dois me rendre à l'évidence qu'il est plus facile, moins coûteux en temps assurément, de laisser passer quelques numéros avant de tapoter le clavier pour écrire une critique qui tienne un tant soit peu la route. Plus de recul aussi pour juger de l'évolution d'une série, ou en l'occurrence d'un event, ou pour mieux se laisser guider par le ou les scénaristes qui y officient. Bref, tout ceci pour dire qu'il est enfin temps de voir comment évolue le mega event de Marvel, Avengers vs X-Men. Nous avions laissé tout ce beau monde sur la lune, alors que le Phoenix himself approche. Attention, ça va spoiler sévère, au moins dans le paragraphe qui va suivre. 

 Comme tout un chacun, je m'attendais sans aucune surprise advenir ce qui devait advenir, à savoir l'absorption du Phoenix par Hope, avec tout le lot de catastrophes en option. Que Nenni ! Premier vrai gros deus ex, la petite se débine, et demande à Wolverine de faire le sale boulot en la tuant. Résultat, nous n'aurons pas un Phoenix, mais cinq plumitifs cosmiques. Plus précisément, les scénaristes introduisent une idée intéressante, à savoir que la force cosmique se répartit entre cinq hôtes, divisant par là-même ses forces. Sans trop en dire sur cette nouvelle équipe, disons tout de même que Cyclope se retrouve en tant que leader mutant revanchard et obtus, mais avec le pouvoir cosmique en sus. Et là, le crossover change de direction. Dès le #6, une ellipse est passée par là, d'où il faut déduire que les nouveaux supers mutants commencent à faire ce qu'ils veulent sur la planète qu'ils envisagent de réformer en profondeur, dans le bon sens du terme. Mais les sceptiques demeurent, et non des moindres. C'est d'abord Xavier qui se manifeste (la surprise a été grande pour moi, ne suivant pas trop les séries mutants) visiblement déçu du leadership exercé par son ancien protégé. Puis ce sont les Vengeurs qui n'ont pas digéré les changements imposés par la bande à Cyclope. Sous l'égide d'un Cap' fidèle à lui-même la contre-attaque commence, et la latte peut recommencer. Le rapport de forces n'étant vraiment plus le même, voilà le moyen de réintroduire la Nemesis des X-Men. On l'attendait depuis longtemps, 2005 pour être exact. Et quand Wanda débarque, ce n'est plus la même histoire. Toujours aussi bourrine, elle permet aux Vengeurs de sauver la face et de mettre à terre un des Phoenix, une défaite qui paradoxalement renforce les quatre autres. Autant dire que nos héros ne sont pas sortis de l'auberge. 

Clairement avec ces quatre numéros on passe dans une autre dimension. Jusque-là on avait de la bonne grosse fight classique, démesurée, bordélique et rapide dans la grande tradition des crossover. Avec l'Ellipse, et les premiers numéros de ce nouveau statu quo, on souffle un peu et on pose les véritables enjeux du crossover. Une nouvelle thématique émerge, à savoir que faire, comment agir lorsque de quasi-divinités oeuvrent pour la pacification de l'humanité et assurer l'équilibre planétaire. On navigue en territoire connu, puisque le questionnement philosophique autour du caractère divin des super héros a été sublimé par Alan Moore dans Watchmen. Depuis, The Authority a aussi exploré le problème, mais il est intéressant de voir que le sujet, passionnant au demeurant, soit abordé ou plutôt suggéré dans un crossover mainstream. Évidemment, ça reste du Marvel, donc les doutes légitimes autour de la démarche ne durent pas plus de trois cases, du fait que les Vengeurs prennent rapidement position, ce qui est compréhensible lorsque l'on sait ce dont est capable le Phoenix. Mais bon, il faut se réjouir quand Marvel lorgne vers les bonnes références, que ce soit Watchmen ou Highlander (si si), et renouvelle un peu son récit. Un mot sur la Sorcière Rouge, à l'origine de la plus grande des perturbations de l'univers Marvel au cours des dernières années. L'attente pouvait être déçue. Et bien ce n'est pas le cas. J'ai eu les frissons lorsqu'elle est apparue au cours d'une case, et franchement on est plus qu'heureux de la voir au top de sa forme. Si certains avaient oublié le poids lourd qu'elle était dans l'équipe, les mémoires sont très vite rafraîchies. Wow ! 

Un petit mot sur les dessins, et sortez les trompettes, c'est Coipel qui prend la relève au #6. C'était pas trop tôt !! Pour être honnête, je dois dire que le boulot de Romita Jr sur le #5 était plus que correct, et correspondait (enfin...) aux standards attendus. Mais bon, avec Coipel, on entre là encore dans une nouvelle dimension, et c'est rendre honneur au dessinateur français que de lui redonner Wanda sous son pinceau numérique. Donc c'est beau, détaillé, épique, et ça colle magnifiquement à l'event. 
Vous l'aurez compris, Avengers vs X-Men s'annonce comme une grande réussite, une très grande réussite. Les pistes sont disséminées ici et là sur la conclusion de l'event, et franchement ça inaugure de l'épique, de l'émotion, du retournement de situation, bref du Bigger than life comme on en raffole. 

Coups de coeur, à venir

L'été avance, la rentrée littéraire aussi. Les services de presse sont peu à peu avalés et Préambule vous propose de découvrir les futures réussites de septembre. Un grand merci à une de nos fidèles clientes, Monique Menguy, qui nous a fait parvenir le résultat de sa lecture attentive et précise et que nous reproduisons ici avec un grand plaisir.

Ron Rash, Le monde à l'endroit

Editions le Seuil

Grâce à sa construction : le personnage central va subir les mêmes horreurs que les habitants de la ville lors de la guerre de sécession (devenir adulte est ici aussi grave et difficile pour le jeune homme que devenir libres pour les habitants en révolte), et grâce à une écriture raffinée et poétique qui aide le lecteur à supporter la barbarie des hommes. 
Cet auteur est un poète, il écrit des choses horribles avec une superbe élégance... Depuis Séréna, je trouvais qu'il s'agissait d'un grand écrivain, mais avec cet ouvrage, Le monde à l'endroit, mon impression se confirme, c'est un grand de la littérature. 

Monique Menguy

Les personnages sont tous magnifiques, superbes. On ne peut en jeter aucun. Et quel style ! On passe de Whitman à Steinbeck en une rythmée en coups de poing. Et on voudrait ralentir la lecture pour ne pas finir l'hisoire. Impossible. Une seule solution : faire partager ce roman

Préambule



Manuel Candré, Autour de moi

Editions Joëlle Losfled

Beau récit, bien écrit qui va, grâce à son style, de la maîtrise des émotions à l'éclatement d'une colère intense et mortifère. Il s'agit de se souvenir d'une enfance malheureuse et cela sans ordre chronologique. L'émotion affleure et monte à mesure que se précisent les évocations douloureuses. C'est un très bau livre à ne pas manquer. 






Monique Menguy



Thierry Dancourt, Les ombres de Marge Finaly

Editions La Table Ronde

 Une ambiance entre Truffaut et Sagan, une écriture à la Modiano. Le narrateur retrouve un amour ancien et recherche ceux qui ont fait partie de leur vie passée. Des jeunes gens snobs et mystérieux dans un monde factice. Et pourtant manipulateur. Un roman aux apparences lisses, l'auteur ne donne aucune clé psychologique évidente, mais qui avance vers la fêlure, le présent se chargeant de régler les comptes. L'histoire n'est pas confortable mais son écriture laisse au lecteur la marque de Thierry Dancourt. 




Préambule

Mythe et Super Héros, Alex Nikolavitch

Tout lecteur de comics a pu nourrir à un moment ou un autre de son parcours le questionnement sur les bases symboliques des super héros. Suivre ce chemin, c'est forcément faire le lien avec la mythologie grecque, puis plus largement à s'interroger sur les relations entre religion et comics. Cela trottait dans la tête de votre serviteur depuis quelques temps, et autant dire que ce Mythe et Super Héros d'Alex Nikolavitch tombe à point nommé. 

Dans ma réflexion, je suis arrivé à la conclusion d'une sorte de triptyque que je pourrais résumer ainsi : modernisation des grands récits mythologiques, emprunts directs aux panthéons et érection d'un système quasi divin propre aux différents univers des comics. Si Alex Nikolavitch n'aborde pas le problème sous ces termes, on retrouve ces trois dimensions traitées en profondeur dans l'ouvrage, notamment dans sa première partie intitulée "Mythe et structure" où l'auteur, citant tour à tour Campbell et Dumézil, recherche les invariants mythologiques dans les productions de comics. Se concentrant sur le Golden Age, l'âge de tous les possibles et de toutes les créations, Nikolavich propose une analyse richement argumentée et passe en revue toutes les références qui ont influencé les premiers scénaristes. Se concentrant sur le travail d'identification et d'iconisation des super héros, rien n'est mis de côté : les pouvoirs, les attributs visuels, les drames fondateurs, les quêtes initiatiques, le dyptique mentor/disciple. L'auteur propose aussi une typologie du "méchant", de la menace (Le Double Inversé, le voyou, le Fou, le Fripon, le Dévoyé, le Planificateur, le Nazi et la Menace Cosmique). Alors que nous sortons de Fear Itself chez Marvel, je ne résiste pas à vous citer justement la présentation du Nazi 
Le Nazi tient une place à part dans la galerie des méchants. C'est un méchant absolu, irrécupérable et déclinable à l'infini (au fil des décennies, les comic books ont vu passer des savants fous nazis, des surhommes nazis, des dominatrices nazies, des anciens nazis, des nazis de l'espace et même des singes nazis - dont un Hitler réincarné -, voire des nonnes nazies transexuelles). Le Nazi reste, même hors des comic books, le grand méchant du XXe siècle, corvéable à merci par le scénariste en manque d'imagination. S'il est logique d'oppose Nick Fury ou Captain America à des Nazis ou Captain America à des Nazis, et si les Nazis font partie intégrante du décorum de Hellboy, ils deviennent trop aisément des rustines, alors que la Seconde Guerre mondiale est terminée depuis longtemps. 
La deuxième partie est consacrée aux deux "Ourdisseurs de mythe" : Jack Kirby et  Steve Ditko. L'occasion d'en savoir plus sur la personnalité des deux scénaristes, sur les conditions d'écriture des comics à l'époque et les premières dissensions chez Marvel. Le moyen surtout pour l'auteur de s'attarder sur les créations (et il y en a) des deux scénaristes, tout en retraçant les trajectoires des personnages jusqu'au début du XXIe. L'exercice est intéressant dans le sens où Nikolavich aborde de manière critique les différents challenges imposés par l'emprunt mythologique direct (surtout Thor et le Ragnarok) et par là-même mettre les pieds dans les plats d'une des plus grandes contradictions d'écriture dans les comics. Une partie extrêmement intéressante puisque deux grandes oppositions de style sont décrites, chacune aboutissant à une vision mythique et religieuse différente, et dont le legs sera durable sur un grand nombre de jeunes scénaristes.

L'examen critique continue dans la troisième et dernière partie lorsqu'il s'agit d'aborder la douloureuse question du vieillissement des héros, puis des sempiternelles résurrections, deux points sensibles qui mettent souvent à mal la suspension d'incrédulité du lecteur de longue date. Si cette dernière partie finalement délaisse son sujet premier pour se concentrer sur les créations innovantes à partir des années 80. L'occasion de revenir sur des séries "mythiques" : Watchmen, Sandman, Starman, Stormwatch/The Authority, Swamp Thing, et donc de s'attarder sur l'invasion des talents britanniques dans l'univers des comics. On retrouve notre trame principale quand Nikolavich écrit que cette génération innove dans le sens où elle est la première à considérer les créations de comics comme des mythes à part entière qui font partie de l'imaginaire collectif, et qu'il faut donc les questionner sous les angles les plus divers, philosophique, religieux ou politique. 

A mon humble avis, tout fan de comics se doit de lire Mythe et Super Héros. D'une part parce que le sujet traité est probablement LE sujet lorsque l'on doit penser les comics dans la culture moderne, et d'autre part parce que la question est admirablement traitée.  On sent que l'écrivain est passionné par les comics et qu'il lui tient à coeur de restituer toute la richesse de cette culture. Autant dire que l'on apprend énormément de choses, en dehors de l'aspect mythologique, sur les comics et sur les hommes qui l'ont promu. A ce titre, Mythe et Super Héros est tout autant une étude sérieuse qu'une lettre d'amour rendant hommage à un univers de divertissement porteur des questions les plus fondamentales de l'humanité. 

samedi 4 août 2012

Rue des Voleurs, Mathias Enard

Actes Sud a décidé de sortir l'artillerie lourde pour sa rentrée littéraire francophone 2012. Sont en effet annoncés pour août et septembre, Claro, Laurent Gaudé, Metin Arditi, Jérôme Ferrari et Mathias Enard. Préambule avait pu assister à la présentation officielle de ce line-up de rêve dans les locaux de la maison d'édition en juillet dernier, présentation dont il était difficile de penser grand chose étant donné la contrainte de l'exercice, à peine vingt minutes par auteur pour retracer sa démarche et vendre le contenu de sa dernière production littéraire. Avec les services de presse qui nous arrivent gentiment d'Arles, il est enfin possible de juger sur pièce, et c'est Mathias Enard qui est aujourd'hui à l'honneur. 

Par rapport à l'historique et contemplatif Parlez-leur de batailles, de rois et d'éléphants, ce Rue des voleurs s'impose comme une rupture. Loin de la Constantinople du XVIe siècle, Enard choisit l'actualité brûlante du Sud de la Méditerranée. Pour appréhender la complexité et la profondeur des "changements sociaux et politiques", l'écrivain prend le parti de confier la narration à un jeune Tangérois, et de suivre sa trajectoire chaotique au sortir de l'adolescence. Condamné par sa famille pour avoir brisé un tabou sexuel, recueilli par un groupuscule islamiste, passionné par les livres (surtout par les polars), sa quête d'amour suite à sa rencontre avec une étudiante espagnole arabisante le pousse sur la quête du Nord, entre espoirs et désillusions. Encore une fois, je préfère rester relativement évasif sur l'intrigue car les 250 pages de Rue des voleurs sont extrêmement riches en péripéties et autres retournement de situations. Autant maintenir le (futur) lecteur dans sa condition virginale de découvreur d'intrigue. 

Revenons un peu sur le narrateur de ce texte, qui est un des points de la rupture que j'évoquais. Si Enard prenait ses distances avec Michel-Ange en prenant résolument le pari de la description subtile et évocatrice par le biais d'une plume raffinée et travaillée, il plonge ici avec les deux pieds dans les états d'âme de son conteur avec le choix de la première personne du singulier. Si le résultat est bien moins exotique par rapport à son précédent roman, son habilité stylistique transparaît avec bonheur au fil des pages. Le fait d'avoir choisi un jeune homme, tour à tour lecteur, libraire et rédacteur est peut-être un artifice grossier pour prêter à un marginal marocain le capital culturel d'un universitaire spécialiste de la littérature et de la poésie arabe, mais cela fonctionne. Du moins, cela n'aurait pas pu fonctionner autrement, à moins d'abandonner tout un pan du roman. Enard parsème en effet tout au long des pages une multitude de références aux auteurs arabes, à leurs poèmes ou récits de voyage qui l'ont vraisemblablement marqué, et qui permet de dresser en toile de fond de Rue des voleurs la quête identitaire via la quête littéraire tout en liant amour charnel et amour du texte. L'écrivain ne se facilite pas les choses avec son personnage principal, qu'il place systématiquement à la marge des milieux qu'il traverse, que ce soit la famille, les religieux fondamentalistes, ses univers professionnels et même le milieu urbain dans lequel il se fond à la fin du roman. La posture de l'éternel outsider est évidemment particulièrement utile pour cerner chacun des milieux sociaux avec la plus grande des lucidités, mais cela pose inévitablement des problèmes sur le réalisme de la construction psychologique et sociale de ce narrateur exceptionnel. On sent que l'idée d'un individu aux mille masques sert la quête fondamentale de l'identité qui est sans aucun doute la thématique du roman, et que derrière la posture singulière de l'outsider permanent, se dessine l'universalité de la problématique abordée. Mais si on veut rester pointilleux, cela crée forcément un décalage avec un autre but de l'écrivain, celui d'embrasser avec sagacité les évènements et les dynamiques qui ont animé les pays arabes en 2011. 

Car sur ce point, Enard est explicite. C'est l'actualité qui a motivé la rédaction du livre. Voilà où se situe la deuxième rupture par rapport à son précédent ouvrage. Certes, il était intéressant d'écrire ou de décrire de l'intérieur des pays concernés ces "changements", mais cette ambition est un chemin pour le moins hasardeux. Le premier souci tient au fait que bien même le narrateur soit Marocain aux prises du quotidien marocain, c'est un occidental qui est à la baguette et c'est tout l'ensemble de l'oeuvre qui peut-être suspecté d'ethnocentrisme involontaire. La deuxième interrogation tient à la dimension du roman. Comment cerner en 250 pages, la complexité, l'étendue et peut-être les limites du fameux Printemps arabe ? Et là où les journalistes, essayistes et autres universitaires ont fait choux blanc en s'engouffrant avec peu de réflexivité critique, Enard ne s'en sort pas forcément mieux.  Il faut bien reconnaître que cet aspect du roman reste irrémédiablement secondaire (et ce n'est pas forcément une mauvaise chose) au hasard des expéditives opinions du narrateur. Il en ressort que les évènements de 2011 ne parviennent au lecteur qu'à l'état allusif, comme contexte nécessaire à une intrigue qui visait probablement autre chose. Soyons honnête avec l'écrivain, ce dernier ne s'est pas borné à la Tunisie ou au Maroc, mais s'applique aussi à porter son regard sur les évolutions à l'oeuvre dans les pays du Nord (Espagne, France), même si cet empilement de références ne va pas forcément plus loin que le clin d'oeil pour planter le décor des déboires des personnages en proie avec une vie de plus en plus difficile. 

Alors quelle conclusion pour Rue des voleurs ? Évidemment ce n'est pas mauvais, car le roman est bien écrit, et qu'il est certain que le lecteur y trouvera son plaisir. Mais soyons lucide sur ses prétentions politiques, sociales et philosophiques, que d'aucuns ne manqueront pas de célébrer, et dont le résultat est bien trop imparfait pour être satisfaisant. Sans doute trop vite écrit sans le recul nécessaire, Rue des voleurs fonctionne surtout comme une jolie et légère réflexion sur la rage de vivre et d'amour, la quête de soi dans un monde agité où certains repères volent en éclat.


dimanche 15 juillet 2012

Le Japon n'existe pas, de Alberto Torres-Blandina

Changement de décor, d'atmosphère et de pays avec le coup de coeur du jour. A nouveau à l'honneur chez Préambule, les éditions Métailié sortaient en juin dernier dans leur format poche Le Japon n'existe pas, de l'écrivain espagnol Alberto Torres-Blandina. Premier roman prometteur publié en 2009, Métailié a eu le nez creux de le ressortir en période estivale, par essence consacrée aux rituels touristiques. 

Le Japon n'existe pas est construit autour du personnage de Salvador Fuensanta, vieux balayeur dans un aéroport espagnol. Légende locale, Salvador est un puits mémoriel vivant, un conteur inépuisable, une figure sympathique toujours prompte au partage. On suit dans le roman ses derniers jours de travail avant son départ à la retraite, le voir alpaguer les voyageurs patientant aux portes d'embarquement ou flânant dans l'aérogare, pour mieux les abreuver de ses ultimes histoires. Construit comme un monologue où l'on devine les réponses de ses différents interlocuteurs, le lecteur se trouve immédiatement transporté dans un siège face à ce petit vieux loquace et espiègle. On est comme le voyageur captivé, tributaire des impératifs de son labeur, et l'on est frustré quand Salvador interrompt son récit pour retourner à son balais. Composé avec intelligence, Le Japon n'existe pas n'est pas un empilement de courts récits sans queue ni tête, puisque chapitre après chapitre, Salvador revient vers son auditoire pour livrer suite et fin de ses improbables anecdotes. Un rythme particulier qui colle parfaitement à l'ambiance des aéroports, où les personnes défilent, se croisent et se recroisent dans le chaos organisé du ballet qui s'ignore. Chef d'orchestre modeste mais attentif, notre balayer apporte du sens, de la poésie, et de l'imaginaire à ce lieu typique de la modernité. 

Symptomatique du petit roman qui sous l'apparence de la légèreté cache bien son jeu, Le Japon n'existe pas distille par petites touches les grands thèmes de notre existence. Si les récits de Salvador privilégient bien évidemment l'amour, les relations compliquées entre les hommes et les femmes, on est à mille lieues d'un gnan gnan dégoulinant de sentimentalisme facile. Non, ici les choses ne sont jamais simples et pour toucher l'émotion l'écrivain espagnol fait appel tour à tour à l'absurde, à la poésie, en tout cas à l'imaginaire afin de tirer toute la quintessence de la banale et surannée histoire d'amour. Destins impossibles, artifices retors, stratagèmes alambiquées, tout surprend et dénotent des ressources narratives de Torres-Blandina. N'oubliant pas non plus que l'aéroport est aussi la porte du voyage, l'écrivain en profite avec un plaisir malin pour démystifier cette démarche, se moquer allègrement de tous les types de tourisme, dans la bouche d'un vieil homme qui a fait plusieurs fois le tour de la Terre sans jamais quitter son balais. Vieux sage ironique, mais jamais irrespectueux ou cynique, Salvador évoque avec un humour subtil nos contradictions, et suscite souvent le rire franc auprès du lecteur. 

Vous allez en Inde, non ? C'est très simple. Les destinations, c'est comme les coupes de cheveux, les chaussures... ou le conjoint. On les choisit s'ils nous vont bien. Ma nièce a des mèches blondes, elle adore les chaussures à talons hauts et elle s'est mariée l'an dernier avec un informaticien. Elle a invité quatre cent personnes au mariage. Où croyez-vous qu'ils sont allés en voyage de noce ? Exactement ! C'était Cancun ou une croisière. Donc, Cancun. (...) Vous êtes rasé de frais. Et vous l'avez fait pour pouvoir vous laisser pousser la barbe à partir d'aujourd'hui, n'est-ce pas ? Vous partez avec une peau de bébé et vous reviendrez barbu. Au retour, vous attendrez quelques jours avant de vous raser, après que tout le monde vous aura vu. Excusez-moi d'être aussi franc... Si on pouvait entrer dans la tête des autres, on serait surpris de voir à quel point rien n'a changé. Connais toi toi-même et tu connaîtras les autres. Je ne me moque pas de vous, je me moque du genre humain, de ce que nous sommes... Ma nièce a choisi Cancun pour des raisons similaires aux vôtres... Vous ne le croyez pas ? Vous reviendrez avec une barbe comme elle est revenue avec un petit bracelet. Elle parlait des daïquiris et du soleil. Vous parlerez de spiritualité et de karma. Elle montrera des photos de son mari en maillot de bain et vous des photos de beaux enfants aux yeux maquillés...au kajal, c'est un produit aromatique qui fortifie la vue des petits... Vous me demandez ça à moi ? Je ne suis qu'un balayeur. En plus, c'est difficile de parler de l'Inde. En réalité, on ne peut la décrire qu'avec les phrases habituelles : c'est une autre planète, il faut y aller pour comprendre, on en est tout remué, les Indiens sont dingues, ce genre de choses... rien de bien nouveau.
Je n'en dirai pas plus sur les autres petites perles, situations hilarantes ou réflexions philosophiques  profondes, qui jalonnent constamment ce court roman d'à peine 160 pages. Toujours est-il que si vous cherchez l'habituel "petit bouquin sympathique, intelligent mais pas trop prise de tête" (Dieu que je hais cette préoccupation dominante des lectrices et lecteurs qui franchissent notre porte), n'allez pas plus loin, Le Japon n'existe pas vous tend ses pages.

vendredi 13 juillet 2012

Retour sur un livre évènement : Karoo, de Steve Tesich

Lauréat incontesté de la promotion médiatique et critique pour la littérature étrangère cru 2012, Karoo aura connu un destin étonnant. Sorti en mars dernier par la modeste maison d'édition Monsieur Toussaint Louverture, les derniers exemplaires sont aujourd'hui accompagnés des jaquettes où trônent louanges du Monde, du Figaro, des Inrockuptibles. Entre-temps une batterie de nos collègues aura assuré sa promotion dans la Grande Librairie en la dépeignant comme l'ultime capolavoro de la littérature américaine. Ajoutez à cela son statut d’œuvre posthume (première publication en 1998 aux USA, deux ans après la mort de Steve Tesich), le fait qu'il a été particulièrement difficile de se le procurer, tous les ingrédients sont là pour en faire un livre "culte" qui se mérite. Six mois après sa sortie, à notre tour de disséquer les entrailles de ce monstre de papier. 

Une fois n'est pas coutume, je vais rester assez succin sur l'intrigue en elle-même. Nous suivons, à la première personne du singulier, la trajectoire descendante de Saul Karoo, écrivaillon, coupeur/remonteur de scénario de films, pété de thunes, empêtré dans un divorce, impuissant à communiquer face à son engeance, prenant du ventre, insensible à l'alcool, pourrissant chaque relation humaine qu'il est amené à cultiver. Voilà pour le héros avec lequel nous devons créer une certaine empathie pendant ces 600 pages. Élément déclencheur : un nouveau boulot se pointe, et à la vision d'un véritable chef d’œuvre cinématographique qu'il se doit de charcuter en bonne et due forme, le rire d'une serveuse à l'écran lui rappelle la voix d'une jeune mère de quartoze ans qui lui confia son fils.

Karoo, quand bien même il manipule une multitude de thématiques, n'est ni un roman sur l'alcool, ni sur l'industrie cinématographique, ni sur l'amour, ni sur la famille. Karoo est un roman sur le vide, le Néant. Qu'advient-il lorsqu'on ne ressent plus rien, lorsqu'on a l'impression de ne plus rien ressentir, lorsque l'on se force à ressentir et tous les mensonges que l'on s'adresse ou que l'on impose aux autres dans cette profonde quête de sens. Que se passe-t-il quand on se rend compte que le seul personnage en vie autour de soi est soi-même, et que ce soi est bien peu réjouissant. Tout le roman fonctionne donc comme une déconstruction psychologique systématique de tous les stimuli du monde extérieur comme autant de signaux artificiels, par le biais d'un cynisme réjouissant sur les milieux huppés ou le monde du cinéma (que Steve Tesich maîtrise particulièrement). Il n'est guère étonnant que l'écrivain ait décidé d'employer l'outil de la lente et inexorable chute, le lecteur devenant le témoin privilégié de la déchéance et de la décadence morale d'un narrateur qui dévoile tous ses atermoiements intérieurs. 

Est-ce pour autant la merveille littéraire que l'on nous aura dépeint ? Je regrette que personne n'ait relevé les défauts objectifs de ce texte. Le premier handicap, qui n'est pas directement lié à la plume de Tesich, tient au timing éditorial. Le roman nous parvient en 2012, alors que pour l'apprécier pleinement nous aurions du l'avoir dès 1998. L'éditeur cite notamment Roth, Easton Ellis comme points de comparaison. Le problème c'est que chaque année depuis 1998, nous avons au moins un livre de chacun de ces deux auteurs, qui traite de de ces mêmes thématiques. N'oublions pas non plus que la grande fresque psychologique de Franzen, Freedom, est parue à l'automne dernier, et qu'il y a à peine un an, McEwan sortait son très sombre Solaire, qui dépeignait la même trame de décadence d'un personnage principal particulièrement détestable. Le souci avec Karoo, c'est qu'il est noyé dans une thématique battue et rebattue, parfois sur-utilisée jusqu'à la moelle. Pour tirer son épingle du jeu, il faut donc assurer au niveau du style. Et là encore, force est de constater que rien n'est transcendant à ce niveau non-plus. Non pas que ce soit mauvais, ne me faites pas dire ce que je n'écris pas. Mais qu'est-ce qui distingue la plume de Tesich d'un Roth ou d'un McEwan ? Le texte est révélateur des limites du style anglo-saxon contemporain, efficace mais peu original. On est très loin par exemple d'un Gonzalo M. Tavares, qui traitait exactement de la même chose, mais avec autrement plus de force et d'évocation métaphysique dans Apprendre à prier à l'ère de la technique. Heureusement que les 100 dernières pages du roman, clairement en rupture avec les 500 premières, offrent un final particulièrement intéressant, une fulgurance cosmique bienvenue, et qui rehausse clairement le niveau d'une intrigue dont chaque développement est bien trop prévisible et ne suscite à aucun moment le bouleversement auprès du lecteur.

Je dois peut-être concéder que mon goût pour la contradiction et de prendre parfois le contrepieds des tendances critiques a pris le pas sur les qualités objectives du roman. Le fait qu'il ne m'ait fallu que deux jours (dont un passé au festival d'Avignon) est un gage de la capacité d'attraction de ce texte qu'on ne lâche pas. Malgré tout, Karoo me semble bien être un cas d'école d'un engouement critique qu'il aurait fallu sévèrement nuancer, car, autant conclure sur ce constat, le roman posthume de Tesich n'est ni une prouesse, et certainement pas le chef d’œuvre qu'on nous aura vendu depuis le mois de mars.

vendredi 6 juillet 2012

Festival d'Avignon 2012 : la Gloire de mon père

Bonjour à toutes et à tous, 

je profite de ce billet pour vous signaler un pièce de théâtre,  à savoir la première mondiale de l'adaptation de la Gloire de mon père de Marcel Pagnol, présentée à Avignon. 
Préambule a rencontré la metteuse en scène et le comédien, et ne peut que vous conseiller leur travail, imprégné de passion, de sincérité et de grande fidélité au texte de l'écrivain. 


Allez, tous à Avignon !!


LA GLOIRE DE MON PÈRE
mise en scène STÉPHANIE TESSON avec ANTOINE SÉGUIN

lumières Florent Barnaud

Pour la première fois au théâtre,
le récit légendaire de Marcel Pagnol.

À la façon des conteurs, Antoine Séguin fait revivre les souvenirs de Marcel Pagnol,
en incarnant les meilleurs moments de cette œuvre au goût de bonheur et de liberté.
La Gloire de mon père, c’est un hymne à l’innocence et à la paternité,
qui garde une poésie, une fraîcheur, un humour pittoresques autant qu’universels.

Un élixir d’enfance éternelle !

Dans ces Souvenirs, ce n’est pas de moi que je parle, mais de l’enfant que je ne suis plus.
C’est un petit personnage que j’ai connu et qui s’est fondu dans l’air du temps.
Marcel Pagnol

dès 9 ans - durée 1h10
du 7 au 28 juillet 2012 à 13h15
Théâtre Les 3 soleils
4, rue Buffon - 84000 Avignon - tarifs : 17€ / 12€
réservations : 04 90 82 25 57 - www.les3soleils.fr <http://www.les3soleils.fr/>
www.laccompagnie.fr <http://www.laccompagnie.fr/>


mardi 19 juin 2012

Streets of Glory, de Ennis et Wolfer

Peut-on refuser un bon western avec Garth Ennis aux commandes ? Visiblement non, puisque j'ai dû à nouveau faire preuve d'une faiblesse coupable en cédant face au premier et unique tome de ce Streets of Glory. Achat non-prévu, mais bon, après avoir feuilleté les premières pages, je n'ai pas pu résister, d'autant que l'occasion était idéale pour découvrir ce que l'Irlandais valait sur le western. Ce n'est pas son coup d'essai, mais jusqu'ici impossible de mettre la main sur Just a Pilgrim, et malgré les emprunts indéniables tout au long de Preacher, difficile de qualifier ce dernier de pur western.

Rapidement quelques mots sur le pitch. L'histoire se focalise sur les derniers exploits du colonel Joe R. Dunn, ancienne gloire de l'armée, et gâchette particulièrement redoutée dans l'ouest lointain. On appréhende le retour de la légende par la narration de Tom, un jeune pionnier que Dunn vient de sauver d'une bande de malfrats. Au programme dans la petite ville de Gladback, Montana, le retour d'un peau-rouge démoniaque, les plans d'un spéculateur véreux, un amour perdu, et beaucoup de souvenirs. 

J'apprécie énormément la veine westernienne dans laquelle s'inscrit Garth Ennis. Dans Streets of Glory, nous sommes en 1899, un tournant dans la mythologie du Far-West, qui correspond à l'arrivée du train, la fin d'un monde et le remplacement des grands tireurs par des administratifs. Pour les joueurs de jeux vidéo, cet album rappelle le contexte de Red Dead Redemption, dans ce Far-West qui se meurt lentement et doit peu à peu s'effacer dans la poussière devant le XXe siècle. On est donc entre nostalgie et désenchantement, le petite histoire et la grande, l'héroïsme et l'anodin. Un entre-deux qui laisse toujours un goût particulier à la lecture. En tout cas on sent que Ennis est plutôt confortable avec ce registre, et ses dialogues sont encore une fois plutôt bien écrits. Cela dit, cela reste du Ennis, et ne vous attendez-pas à de la finesse. C'est du Avatar assumé, ça tire, ça tue, ça torture, ça mutile, et ça le montre. Le scénariste est plutôt amateur de la violence explicite dans un contexte qui le justifie, et on sent qu'il a eu carte blanche. Comme d'habitude, via ce vétéran des guerres indiennes, on retrouve les marottes de l'Irlandais sur l'armée, l'importance de la guerre et de ses conséquences sur la psyché des personnages. Une petite quenelle glissée au passage sur les Américains dans leur traitement des locaux, pas de doute, c'est du Ennis tout craché.

Un mot sur les dessins de Mike Wolfer. Âmes sensibles s'abstenir si vous n'aimez pas le gore explicite. Explosion de mâchoire, scalp, cervelle qui gicle, il y a de tout pour l'amateur de gros rouge qui tâche. Moi j'aime bien. Les dessins en eux-mêmes sont efficaces, collent bien à l'ambiance de la série, et les couvertures sont également très belles. Un duo qui tourne plutôt bien. 

Je me suis souvent demandé si Garth Ennis pouvait écrire quelque chose de mauvais. Ce n'est pas avec Streets of Glory que je vais avoir ma réponse. Certes, ça reste du western, et du western plutôt anecdotique, mais bon c'est bien ficelé, on lit l'album d'une traite avec un plaisir indéniable.Tous les amateurs de ces ambiances ne peuvent donc se permettre de faire l'impasse sur cette mini-série particulièrement attachante.


lundi 18 juin 2012

Moon Knight T1, par Bendis et Maleev

Un petit retour sur la vf, puisque la semaine dernière Panini publiait les sept premiers numéros de la nouvelle série de Moon Knight par les compères Bendis (scénario) et Maleev (dessin). Etant un "jeune" lecteur des séries Marvel, je n'ai découvert le personnage de Moon Knight qu'avec la reconstitution des Secret Avengers sous l'ère de l'Heroic Age. Rien ne m'incitait à faire l'essai de la série dédiée au personnage, si ce n'est la présence du duo Bendis/Maleev, auteurs d'un run somptueux, magistral, sublime, chef d'oeuvre intemporel sur Daredevil. Autant vérifier si la qualité est à nouveau au rendez-vous. 

La série se déroule à Los Angeles, lieu de résidence de Marc Spector (Moon Knight), producteur à Hollywood d'une série Tv pourrie inspirée de sa propre histoire. Se convainquant d'avoir un rôle à jouer en tant que Vengeur sur le côté Est, Moon Knight se retrouve embarqué dans une embrouille autour d'un exemplaire d'Ultron dont il parvient à dérober la tête. Sa tête est rapidement mise à prix par le supervilain voulant récupérer le puissant robot, un mystérieux caïd qui la joue profil bas dans une ville où les superslips se distinguent par leur absence. Après avoir bousillé une première approche, Moon Knight collabore avec Echo/Maya Lopez, une ex-Vengeur sourde, également assisté d'un ancien agent du SHIELD. Voilà pour le pitch. 

Le genre urbain dans les comics est un des sous-genres que j'apprécie de plus en plus. Contrairement aux séries plus traditionnelles, l'intérêt ne réside pas tant dans l'aventure, le déchaînement de super pouvoirs, que dans le travail scénaristique autour de la personnalité des héros. La plupart des personnages urbains que je connais (Daredevil, le Punisher, Johnny Blaze/Ghost Rider) ont ainsi ce point commun d'être bien plus torturés que la moyenne, la folie douce ou furieuse déteignant nécessairement sur leur vie civile. Moon Knight ne déroge pas à la règle, et Bendis insiste sur cet aspect du personnage, d'autant que ce dernier est loin d'être monolithique. Bendis joue donc sur plusieurs registres. Le premier porte sur la réhabilitation du personnage, adoubé par Steve Rogers himself dans les Secret Avengers. Clairement dévalorisé dans le paysage Marvel, le scénariste s'amuse habilement avec le statut ambivalent de Moon Knight, Vengeur secret ou de troisième zone selon les points de vue, dans un traitement qui s'approche, toutes proportions gardées, de ce que Geoff Johns a récemment fait avec Aquaman. Le deuxième registre mobilisé, et prépondérant dans tout l'album, est le trouble particulier dont souffre Moon Knight. A l'instar de Deadpool, Marc Spector entend des voix qui le malmènent, le questionnent. Si ce procédé d'écriture permet l'introduction d'éléments humoristiques, on est loin du délire typiquement deadpoolien. Ici les voix s'incarnent dans des versions imaginées de Captain America, Spiderman et Wolverine, fidèles à la personnalités des héros prestigieux, et symbolisent les différentes postures à disposition d'un Moon Knight isolé, en perte de repères et en quête de rédemption. Bendis ajoute également une intrigue amoureuse, entre deux personnages marginalisées, et qui doivent faire face, loin des paillettes new-yorkaises, à la face sombre de Los Angeles. Autant dire que Moon Knight est une série qui consacre la part belle aux dialogues et à la construction psychologique de ses personnages, deux domaines dont Bendis est passé maître depuis quelques années.
Un petit mot sur les dessins. Alex Maleev fait du Maleev : c'est sombre, froid, et colle bien à l'ambiance polar qu'a voulu instillée Bendis dans la série. Il faut tout de même reconnaître que le dessinateur n'est pas au top de sa forme et qu'il nous a habitués à bien mieux, que ce soit sur Daredevil, PunisherMax, ou plus récemment sur Scarlet. Ce n'est pas mauvais (je ne pense pas que du Maleev puisse être mauvais), mais ce n'est pas brillant non plus. 

Moon Knight est un très bon album de comics urbain. Tous les codes habituels sont maîtrisés par le vieux routier du genre qu'est Bendis. Si l'intrigue n'est pas des plus intéressantes, ce premier album est une parfaite introduction pour mettre en place son personnage, ses défis et son univers. Ce n'est certainement pas le meilleur travail du scénariste, mais vu ce à quoi il nous habitue dernièrement, on est rassuré sur sa capacité à se renouveler et à proposer des séries solides et attachantes.