Editeur prestigieux + nom
redondant anobli récemment par l’académie, voilà deux (mauvaises) raisons pour
ne pas lire a priori un roman. Mais bon, les aléas du mois d’août, l’envie d’essayer
autre chose, la volonté d’être au point au moment de la rentrée littéraire, m’ont
fait prendre Les Désorientés du dernier immortel en date de la langue
française, le libanais Amin Maalouf.
Poids lourd de la littérature française, peut-être le meilleur espoir
pour Grasset de viser le Goncourt, à notre tour de disséquer cet imposant texte
de plus de 500 pages qui arrivera dans les rayons en septembre.
Les Désorientés
raconte le retour du narrateur, Adam, dans son pays natal après un quart de
siècle d’exil volontaire, alors qu’un de ses anciens amis est en train de
mourir. Historien de métier, il est censé travailler sur une biographie d’Attila,
mais son projet prend une autre tournure. Dans l’auberge tenue par une vieille
amie, les souvenirs affluent, le passé s’invite dans la chambre d’Adam. Ce
dernier ouvre des vieux documents, lit une lettre, puis deux, se remémore ses
réponses. Le besoin naît de coucher sur papier les portraits de tous ses amis
qui composaient le « cercle des Byzantins » au début des années 70.
Alors que l’un d’entre eux rend l’âme, Adam décide d’organiser des
retrouvailles officielles, réunir les vivants pour donner un dernier hommage
aux morts qui ont secoué le groupe. La tâche est ardue, certains sont partis
loin du pays, aux Etats-Unis, au Brésil, ou en Jordanie, et les autres se sont
éloignés dans le pays même, se réfugiant dans la religion, que celle-ci prenne
la forme de l’Islam radical ou d’un monastère orthodoxe. Les Désorientés relatent
ces quinze jours de quête, d’enquête et de requête pour réconcilier passé et
présent, entre la chambre de l’auberge et les routes du Proche Orient afin de
retisser les liens distendus.
Amin Maalouf consacre une grande
partie de son roman à cette étude du passé. Plus qu’une étude nostalgique qui
magnifierait l’âge d’or d’une jeunesse perdue, l’écrivain se livre au
dévoilement intégral. Seul ou entouré de ses amis, Adam décide de relater
toutes les blessures accumulées, les cicatrices encore ouvertes, les erreurs et
les désirs inassouvis, l’éloignement. Si Maalouf explore les « grands
sentiments » (l’Amitié, l’Amour, la Mort), l’exercice est toujours
subtile, effectué avec précaution, rassemblant tous les points de vue,
concédant sur l’intransigeance subjective du narrateur, pour restituer toute la
complexité et la profondeur de ces mots que l’on jette si souvent en pâture
dans la littérature. Les réflexions sonnent toujours justes, et le concert
émotionnel qui se joue dans les pages touche souvent au sublime. Maalouf
retient souvent sa plume, et si les mots sont précis et calculés, l’écrivain
privilégie des phrases simples, qui coulent, et qui se contentent d’illustrer
avec sobriété ce qui bouillonne dans ses personnages.
Un point sur la contextualisation
du roman. De manière évidente, Maalouf joue dans les Désorientés la carte de l’universalisme.
En sus du prénom de son narrateur, Adam, l’écrivain opère un certain tour de
force en ne mentionnant jamais le pays (son pays) théâtre de son drame humain,
en l’occurrence le Liban. Vingt-cinq ans d’exil, cela correspond bien
évidemment à la guerre civile qui a ravagé le pays. Le roman, s’il n’est pas
essentiellement politique, aborde tout de même à plusieurs reprises cette
thématique. C’est la guerre a provoqué les départs, les premiers morts, et les
différentes trajectoires opérées par les anciens amis. L’occasion pour Maalouf
de faire part de la corruption du Liban, des mains salies par la guerre et qui
le sont restées après la paix. Les idées politiques sont également bien
présentes. Certes l’écrivain a à sa disposition une galerie archétypale (un
juif, un chrétien, un islamiste entre autres) lui permettant de faire le point
sur l’état idéologique des pays arabes, mais derrière ces oppositions, c’est
une autre douleur qui se révèle, celle de ces jeunes libanais qui souhaitaient
dépasser le cadre communautaire de leur pays, purger le Liban de ces divisions
stériles et qui n’auront été payés en retour que par le départ ou la mort.
Les Désorientés est un roman
extrêmement riche, particulièrement bien écrit et d’une intelligence rare.
Fruit de l’expérience personnelle de Maalouf, ce dernier réussit son pari
ambitieux, toucher l’universel en délivrant un testament littéraire destiné à l’humanité
entière. Autant dire qu’il faudra suivre de près le destin de ce roman, qui
comptera parmi les plus belles réussites de la rentrée littéraire.
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