Dans notre tour d'horizon de la rentrée littéraire, intéressons-nous aujourd'hui à un autre poids lourd de la littérature française, Olivier Adam (Des Vents contraires, Le Coeur régulier). Lors du dernier mercato littéraire, ce dernier a quitté son équipe de toujours, l'Olivier, pour rejoindre la plus prestigieuse maison Flammarion. Alors que la campagne des Prix approche, l'essai est-il transformé avec Les Lisières ?
Les Lisières est un récit à la première personne mettant en scène un écrivain, Paul, qui se débat dans sa vie. La quarantaine, deux enfants, divorcé mais toujours amoureux de son ex, hormis les bouffées d'air qui lui apporte les bambins, Paul est noyé dans un vide émotionnel. Pour s'en sortir, ce ne sera pas du côté du travail, car l'inspiration l'a quitté depuis quelques temps, au grand dam de son éditeur. En revanche, Paul se décide à fouiller son passé et remonter aux sources de sa maladie, son malaise permanent. Ceci l'amène à revoir ses amis de banlieue, à faire l'amer constat de leur difficile situation, mais aussi à repenser ses amours lycéens déçus et pourquoi pas, rattraper le temps et les occasions perdus. Une quête en arrière qui le conduit au domicile familial, affronter la froideur d'un père ouvrier et râleur, tandis que sa mère hospitalisée et défaillante mentalement, lâche un secret enterré depuis longtemps.
Voilà à peu près la trame de cet imposant roman (plus de 450 pages) dans lequel Olivier Adam brasse de nombreux sujets. Bien évidemment il faut adhérer au côté irrémédiablement psychologisant du texte, qui est consacré en grande partie à l'analyse et l'autoanalyse du narrateur tourmenté. Généralement je suis plutôt réticent à ce type de came littéraire, mais l'enchaînement des mots, des sensations et autres réflexions, coule de source, et l'on doit ici rendre grâce à l'écrivain maître de lui et de sa plume. Alors certes, le lecteur retrouvera des thèmes peu originaux : la nostalgie du premier amour, la joie de l'amour parental, les relations distantes avec le père, le bilan de sa jeunesse, la redécouverte de la famille, la jalousie de l'ex. Mais Olivier Adam s'en sort chaque fois avec les honneurs, et tout ceci est traité avec qualité.
Mais là où le roman gagne en force et en intérêt, c'est quand il se sociologise. Les Lisières est un titre admirable et qui est parfaitement adapté à ce qui est abordé en profondeur dans le texte. Si le narrateur est un homme au bord de son gouffre intérieur, c'est peut-être aussi qu'il se place à la marge de tous les milieux dans lesquels il évolue ou a évolué. Olivier Adam analyse ici la trajectoire d'ascension sociale et culturelle de son narrateur, qui rejette en partie son héritage populaire tout en crachant à la gueule du milieu littéraire type Saint-Germain des Prés. Nulle part chez lui, observateur de la frontière, c'est ce positionnement inconfortable qui est à la racine du mal dont souffre Paul. Olivier Adam revient à la charge du réalisme en accordant une grande attention aux récits de vie des anciens amis que rencontre Paul. C'est l'avantage d'un narrateur qui a le pouvoir de faire délier les langues et la faculté de plus s'intéresser à la vie des autres qu'à la sienne. Ces portraits mettent en scène cette working-class de banlieue qui trime jusqu'à l'aliénation et souffre dans l'indifférence. Le choix d'Olivier Adam pour une langue orale crue, parfois vulgaire est également payant, et rajoute indéniablement en crédibilité. Pour revenir au personnage principal, l'accumulation des références culturelles et autres, font également de Les Lisières, une radioscopie particulièrement précise de notre époque, de nos goûts, que notre narrateur de la lisière regarde souvent de manière ironique renvoyant tous les camps culturels, sociaux et politiques dos-à-dos.
Mine de rien, Les Lisières remplit allègrement son cahier des charges : bien écrit, intéressant et accrocheur jusqu'à sa conclusion, très belle par ailleurs. Très certainement, le livre va faire parler de lui, et saura attirer le lecteur. Encore un candidat crédible, quoiqu'un bon cran en-dessous d'Amin Maalouf, pour les prochaines médailles automnales.
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