Brian Wood (écriture)
Kristian Donaldson et Garry Brown (dessins)
contient The Massive #1-6
Avant de nous attaquer à l'album du jour, je me permettrai une nouvelle parenthèse sur l'univers du comics aux USA, en particulier sur les productions matures ou indépendantes. Si les récentes parutions d'Urban Comics peuvent faire illusion, la situation est loin d'être reluisante chez Vertigo. L'âge d'or du label dépendant de DC est passé, et à l'exception de Fables, difficile de voir quelles sont ses nouveaux flagships. Symptôme ou cause du phénomène, le départ de Karen Berger, éditrice de génie (et je pèse mes mots, cette femme est LA Sainte du Comics), illustre à merveille ces difficultés. Pendant plus de 30 ans, le gotha des écrivains s'est aiguisé les crocs sur le label, avec une éditrice tirant le meilleur de leur talent. A bien regarder dans les bibliographies de nos auteurs préférés, on peut se demander si leur série marquante n'a pas été à chaque fois réalisée dans le giron de Vertigo. Comme le malheur des uns fait le bonheur des autres, les difficultés de Vertigo riment aussi avec un nouvel âge du creator owned. La demande des écrivains d'un éditeur laissant libre cours à leur folie créatrice ne s'est pas tarie, loin de là, mais elle s'exprime ailleurs. Le précédent de Kirkman et de son Walking Dead est probablement passé par là. Toujours est-il que les productions indé de Dynamite, Dark Horse ou Image deviennent bougrement intéressantes. D'ailleurs, les éditeurs français ne s'y trompent guère. Détenteur de la licence DC en France, Urban s'est rapidement décidé à se créer une collection Indies (et choppant deux/trois chefs d'oeuvre au passage). Panini, via sa collection Fusion, essaye tant bien que mal de repeupler le vide laissé par DC, en piochant avec plus ou moins de bonheur dans ces séries indépendantes. Après un tome sur Conan, Panni accueille une nouvelle Brian Wood, auteur "maison "(il était à la tête de X-Men dans le X-Men Universe, il le sera à nouveau en août, tout en étant en ce moment en charge de Ultimates X-Men), qui s'est surtout fait connaître sur son boulot remarquable chez Vertigo (DMZ et Northlanders, que j'avais abordé ici-même). Et voilà son nouveau bébé publié aux USA chez Dark Horse : The Massive.
Pardon encore pour le long préambule et intéressons-nous à ce que nous propose Brian Wood. Bienvenue dans l'année du Krach, où l'humanité se remet (péniblement) d'une série de catastrophes naturelles aux conséquences irréversibles (montée des eaux, crise économique globale, fin des échanges monétaires, fermeture des frontières, etc...). Impossible de ne pas faire le parallèle avec le pitch de DMZ qui me servira de référence pour vous situer l'ambiance de The Massive. L'action se déroule dans une futur alternatif très proche (2012 est suggérée). Embarqué sur le Kapital (explicit marxist content), le lecteur côtoie le groupe de La Neuvième Vague, militants pacifistes et protecteurs des océans. Comme dans tout premier tome qui se respecte, Wood introduit son univers. Et il le fait avec brio. De manière assez étonnante, Brian Wood fait l'impasse sur l'action, et nous plonge dans son monde par les les extrêmes : le macro (les éléments contextuels) et le micro (les personnages). Deux moyens où l'écrivain fait montre de ses audaces stylistiques. Depuis Watchmen, je n'avais pas vu un auteur de comics s'affranchir à ce point de la structure case/bulle en intercalant d'autres formes d'écriture : chronologie, encadrés, interview. La caractérisation des personnages est également loin d'être simpliste, et Wood opère un va-et-vient permanent entre les personnages et les époques avec son lot de flashbacks et d'ellipses. Si on perd parfois la continuité temporelle, on gagne par contre en empathie et en immersion émotionnelle auprès de personnages complexes dont on attend de plus amples développements. Que le lecteur se rassure, un fil rouge se dessine dans ce premier tome, autour de la recherche du navire de la Neuvième Vague, The Massive, symbole scientifique et pacifique, manquant depuis plusieurs mois. La quête ne fait que débuter, et le mystère reste entier sur sa disparition et même, l'importance que représente The Massive dans le nouveau monde.
Une des forces de la série tient bien évidemment à l'ambiance légèrement apocalyptique qui s'en dégage. Il serait cruel d'écrire que Brian Wood rejoue avec sécurité la carte de DMZ. A la différence de la série sur Vertigo, The Massive est peut-être encore plus "réaliste" dans son traitement. Le décalage temporel avec notre époque étant quasiment inexistant, Wood s'est ainsi construit un équilibre convaincant entre fiction et réalité, édifice précaire de toute oeuvre d'anticipation. Point de traitement délirant mad maxien (à la Tank Girl) ou de spéculation politique. Tout est plausible dans la chaîne événementielle proposée, dans les réajustement géopolitiques et sociaux suggérés. En tournant les pages, je me suis souvent exclamé (intérieurement) "putain, mais ça peut trop dériver sur ça !", ce que ne m'arrivait pas avec DMZ. En revanche, The Massive partage avec la série de Vertigo ses ambitions politiques. Lorsque l'on traite de groupe radical d'action pro-environnement, impossible qu'il en soit autrement. Les fans de Pascal Bruckner seront malheureusement déçus puisque Brian Wood a eu l'intelligence de ne pas sonner une charge écolo bas du front. The Massive est au contraire une réflexion fine sur l'engagement, le non-engagement et la violence. En mettant en avant la posture d'un ex-mercenaire choisissant l'action non-violente dans un contexte où l'utilisation des moyens extrêmes est plus que jamais justifiée, l'écrivain se complique la tâche, du moins ouvre la porte à des entorses futures, voire inévitables. Dernier point fort, c'est le sentiment de tenir entre ses mains une série au potentiel illimité. Wood vient à peine d'esquisser son univers, ses personnages et leurs enjeux, et le monde est grand...très grand.
Trêve de suspens inutile, The Massive est une excellente lecture. Je me retiens sur l'hyperbole qui ne siérait guère au jugement d'un tome introductif. Mais le picotement de l'exceptionnel est bien là. Brian Wood est en très grande forme, sans parler de ses compères au dessin qui nous livrent des planches magnifiques. Bref, amateurs de comics, prenez le temps d'aller en librairie, feuilletez le bouquin et vous vous laisserez forcément tenter par ce petit bijou, probablement mon coup de coeur du premier trimestre 2013.
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