Dernier coup de coeur en date de la librairie, je vous propose aujourd'hui un extrait des Dernières nouvelles du Sud, de Luis Sepulveda. Pour resituer ce passage dans son contexte, les deux compères séjournent chez une vieille dame de la Patagonie, dona Delia, (les photographies prises à l'occasion par Mordzinski sont d'ailleurs sublimes), et Sepulveda écrit avec un certain plaisir comment elle a symboliquement mis en échec l'impérialisme américain, en la personne de Sylvester Stallone.
Les Benetton prétendaient apporter le progrès dans la région. Ils y ont apporté les clôtures en fil de fer barbelé, empêché la transhumance des gauchos et des rares espèces sauvages encore existantes, imposé des bornes absurdes dans une région où le ciel et la terre sont les seules limites. Ted Turner, le millionnaire créateur de CNN et président du groupe multimédia AOL-Time Warner, a suivi l'exemple des Benetton et, à cette liste, est venu s'ajouter un type petit, aux muscles gonflés aux stéroïdes et dont l'intelligence avait impressionné un intellectuel appelé Ronald Reagan : Sylvester Stallone.
Pour définir la capacité des armes on parle de pouvoir de destruction. Pour définir la capacité de destruction de certains hommes il faut parler de pouvoir d'achat. Celui de Rambo visait précisément les terres où dona Delia vivait sa longévité féconde aux côtés de son chien, de ses moutons, de ses herbes miraculeuses, de ses fleurs aux parfums sauvages et de ses fruits aux saveurs séculaires et sacrées.
Malgré son terrible pouvoir d'achat, paradigme de la volonté - non pas au sens où l'entendait Nieztsche mais du point de vue des jobards de Hollywood -, Stallone n'a pas cependant pu acheter. Et ce n'est pas faute d'en avoir eu envie. Il arrive parfois que l'excès de soumission face aux puissants déclenche les mécanismes de résistante qui donnent sa dignité à l'espèce humaine. Le prix fixé par les autorités argentines pour cette portion de la Patagonie était si ridiculement bas qu'un groupe d'éleveurs leur a suggéré de ne pas se montrer aussi complaisantes face aux acheteurs étrangers.
Naturellement, le gouvernement argentin ne leur a pas répondu mais, par hasard, un hebdomadaire français, Le Nouvel Observateur, a publié dans son édition du 5 mars 2003 une information inquiétante qui a échauffé encore davantage les esprits : le gouvernement argentin étudiait la possibilité de donner la Patagonie aux Etats-Unis en échange de l'annulation de l'énorme dette contractée auprès du Fonds monétaire international.
La nouvelle a couru de pulperia en pulperia, de foyer en foyer, et agriculteurs, éleveurs et écologistes ont organisé un tel remue-ménage que l'affaire n'a pas pu se concrétiser.
C'est ainsi que Rambo, l'invincible guerrier, capable d'étriper des milliers de Viêtnamiens, d'abattre en Afghanistan des hélicoptères russes à coups de pierre en luttant aux côtés des talibans, a été vaincu par une petite vieille presque centenaire ayant pour seule arme l'amour de la terre.
C'est le genre de choses qui arrivent, là-bas, en Patagonie. Et ça, c'est vraiment une histoire qui finit bien.
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