Fuyons la sinistrose qui a pesé
sur ce week-end, car les grâces de la littérature accompagnent toujours avec
bonheur le lecteur passionné. Si le Printemps du Livre de Cassis s’est révélé
particulièrement décevant à plus d’un titre, un magnifique ouvrage m’a tout de
même bercé pendant ces derniers jours. Si j’ai choisi le blog pour vous faire
part de ce coup de cœur, c’est que le livre en question est une réimpression
des éditions Métailié. Annonçons donc en grande pompe le retour sur nos étals d’Archanges : 12 histoires de
révolutionnaires sans révolution possible, par le non moins fameux
biographe du Che, Paco Ignacio Taibo II.
Taibo II propose avec Archanges douze récits, d’hommes et femmes
aux horizons divers, et nous emmène en Russie, en Allemagne, au Mexique, au cœur
de la Guerre d’Espagne ou en Angola. Douze parcours dont le trait commun est d’avoir
embrassé la cause révolutionnaire. Une révolution qui les a remerciés en leur
livrant combats, souffrance et destin tragique. Archanges aurait tout aussi pu s’intituler « histoires
populaires de la Révolution », puisque ces hommes et femmes partagent ce
statut de semi-anonymes. Leadeurs ou précurseurs d’une cause, ils et elles sont
en effet suffisamment connus pour que leur nom ait pu transpercer l’Histoire,
ayant parfois laissé quelques écrits de leur expérience militante. Anonymes, ils
le sont, car ils sont en retrait des Grands Hommes qu’ils ont pu côtoyer, et
sont in fine condamnés par l’échec de leurs tentatives. Aux yeux de Taibo II,
ils sont cependant tous suffisamment admirables pour les tirer hors des limbes
mémorielles. Ce qu’il écrit à propos de Rivera vaut pour l’ensemble des douze.
On ne fait plus d’hommes comme lui. Les meilleurs d’entre nous ne sont que de pâles ombres à côtés du vieux Rivera. Nous devrions recouvrir cette tombe aujourd’hui disparue, cette tombe inexistante, d’une interminable pluie de fleurs rouges.Heureusement qu’il reste l’histoire.Heureusement qu’il reste la mémoire.
Une des premières qualités d’Archanges
se trouve justement dans la démarche adoptée par Taibo II. Si l’on a en tête l’écrivain de polar ou le journaliste
engagé, il ne faut pas non plus oublier que l’homme est aussi universitaire, et
comme tous les historiens a cette passion de la recherche et du détail. On
imagine Taibo II plongé au fonds des
archives, épluchant les articles, à la recherche d’une miraculeuse photo ou d’une
coupure de presse pour entériner un fait, ouvrir de nouvelles pistes, et
restituer la vie d’hommes et de femmes que tout le monde a oubliés. Lorsque la
difficulté devient trop importante pour l’historien qui n’a que de rares et
épars éléments dans ses mains, l’écrivain entre en jeu et rajoute une flamme
fictionnelle ou spéculative, varie les angles narratifs pour rendre un dernier
hommage sans trop trahir le personnage célébré. Une admirable combinaison de
précision historique et de nécessaire fiction narrative avec cette même
démarche d’humilité pour rétablir dignité et honneurs à ces combattants.
Nous, les historiens, n’avons pas la possibilité de narrer des histoires comme celles-là. Nous savons bien qu’elles nous dépassent, que nous leur ôtons la vie en les racontant, que le seul lieu précis, exact, le réduit qui leur appartient, c’est cette vague chose que nous ne pouvons pas définir, mais dont nous savons tous qu’elle existe et que nous appelons la mémoire collective des peuples. Voilà son lieu, et c’est à lui seul que ces histoires appartiennent.
On aurait tort de faire de ce livre une simple apologie romantique de
la Révolution. Un fil rouge lie ces différentes histoires qui sont d’ailleurs
en résonnance avec la trajectoire singulière du Che. Ce n’est d’ailleurs pas un
hasard si elles se déroulent quasiment toutes à la même période, entre les
années 1910 et 1930. Creuset des aspirations et du bouillonnement révolutionnaires,
où les injustices et privilèges sont perçues de plus en plus intolérables, Taibo II insiste ainsi sur la
légitimité et le courage des différentes tentatives, quand tout reste à faire
et où l’échec est synonyme de mort. Cette effervescence a rapidement cédé le
pas à une certaine désillusion, pour mieux s’incliner devant une nouvelle oppression :
la révolution institutionnalisée dont les premières mesures ont toujours été de
briser ces militants de l’action, indépendants et parfois irréfléchis. Par le
destin funeste des révolutionnaires russes ou allemands de la première heure, Taibo II règle indirectement ses
comptes avec le stalinisme et le bureaucratisme totalitaire qui ont étouffé à
partir des années 30 ces velléités de soulèvement collectif et égalitaire. Ce n’est
pas un hasard si les douze sont si étrangers ou réfractaires à la glose
marxiste ou léniniste, à tout travail théorique qui abstrait jusqu’à désubstantialiser
l’impératif de leur lutte, à toute position officielle dans une administration
synonyme de compromission. En somme, ces archanges personnalisent et incarnent
à leur manière l’idéal de leur cause, la Révolution pure et immuable, avant que
d’autres hommes ne la pervertissent et ne la décrédibilisent durablement.
Il est certain que ce livre n’est pas destiné à tous les lecteurs, car
il est idéologiquement marqué et tout le monde ne peut pas être sensible au
choix de vie des douze protagonistes. Pour tous les autres, si comme moi vous l’aviez
ignoré en 2001, il faut se ruer sur ce bijou, passionnante étude littéraire et
émouvant testament politique. Merci à Paco
Ignacio Taibo II d’avoir sorti du néant ces anonymes, et par là même
occasion de les avoir immortalisés.
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