dimanche 15 juillet 2012

Le Japon n'existe pas, de Alberto Torres-Blandina

Changement de décor, d'atmosphère et de pays avec le coup de coeur du jour. A nouveau à l'honneur chez Préambule, les éditions Métailié sortaient en juin dernier dans leur format poche Le Japon n'existe pas, de l'écrivain espagnol Alberto Torres-Blandina. Premier roman prometteur publié en 2009, Métailié a eu le nez creux de le ressortir en période estivale, par essence consacrée aux rituels touristiques. 

Le Japon n'existe pas est construit autour du personnage de Salvador Fuensanta, vieux balayeur dans un aéroport espagnol. Légende locale, Salvador est un puits mémoriel vivant, un conteur inépuisable, une figure sympathique toujours prompte au partage. On suit dans le roman ses derniers jours de travail avant son départ à la retraite, le voir alpaguer les voyageurs patientant aux portes d'embarquement ou flânant dans l'aérogare, pour mieux les abreuver de ses ultimes histoires. Construit comme un monologue où l'on devine les réponses de ses différents interlocuteurs, le lecteur se trouve immédiatement transporté dans un siège face à ce petit vieux loquace et espiègle. On est comme le voyageur captivé, tributaire des impératifs de son labeur, et l'on est frustré quand Salvador interrompt son récit pour retourner à son balais. Composé avec intelligence, Le Japon n'existe pas n'est pas un empilement de courts récits sans queue ni tête, puisque chapitre après chapitre, Salvador revient vers son auditoire pour livrer suite et fin de ses improbables anecdotes. Un rythme particulier qui colle parfaitement à l'ambiance des aéroports, où les personnes défilent, se croisent et se recroisent dans le chaos organisé du ballet qui s'ignore. Chef d'orchestre modeste mais attentif, notre balayer apporte du sens, de la poésie, et de l'imaginaire à ce lieu typique de la modernité. 

Symptomatique du petit roman qui sous l'apparence de la légèreté cache bien son jeu, Le Japon n'existe pas distille par petites touches les grands thèmes de notre existence. Si les récits de Salvador privilégient bien évidemment l'amour, les relations compliquées entre les hommes et les femmes, on est à mille lieues d'un gnan gnan dégoulinant de sentimentalisme facile. Non, ici les choses ne sont jamais simples et pour toucher l'émotion l'écrivain espagnol fait appel tour à tour à l'absurde, à la poésie, en tout cas à l'imaginaire afin de tirer toute la quintessence de la banale et surannée histoire d'amour. Destins impossibles, artifices retors, stratagèmes alambiquées, tout surprend et dénotent des ressources narratives de Torres-Blandina. N'oubliant pas non plus que l'aéroport est aussi la porte du voyage, l'écrivain en profite avec un plaisir malin pour démystifier cette démarche, se moquer allègrement de tous les types de tourisme, dans la bouche d'un vieil homme qui a fait plusieurs fois le tour de la Terre sans jamais quitter son balais. Vieux sage ironique, mais jamais irrespectueux ou cynique, Salvador évoque avec un humour subtil nos contradictions, et suscite souvent le rire franc auprès du lecteur. 

Vous allez en Inde, non ? C'est très simple. Les destinations, c'est comme les coupes de cheveux, les chaussures... ou le conjoint. On les choisit s'ils nous vont bien. Ma nièce a des mèches blondes, elle adore les chaussures à talons hauts et elle s'est mariée l'an dernier avec un informaticien. Elle a invité quatre cent personnes au mariage. Où croyez-vous qu'ils sont allés en voyage de noce ? Exactement ! C'était Cancun ou une croisière. Donc, Cancun. (...) Vous êtes rasé de frais. Et vous l'avez fait pour pouvoir vous laisser pousser la barbe à partir d'aujourd'hui, n'est-ce pas ? Vous partez avec une peau de bébé et vous reviendrez barbu. Au retour, vous attendrez quelques jours avant de vous raser, après que tout le monde vous aura vu. Excusez-moi d'être aussi franc... Si on pouvait entrer dans la tête des autres, on serait surpris de voir à quel point rien n'a changé. Connais toi toi-même et tu connaîtras les autres. Je ne me moque pas de vous, je me moque du genre humain, de ce que nous sommes... Ma nièce a choisi Cancun pour des raisons similaires aux vôtres... Vous ne le croyez pas ? Vous reviendrez avec une barbe comme elle est revenue avec un petit bracelet. Elle parlait des daïquiris et du soleil. Vous parlerez de spiritualité et de karma. Elle montrera des photos de son mari en maillot de bain et vous des photos de beaux enfants aux yeux maquillés...au kajal, c'est un produit aromatique qui fortifie la vue des petits... Vous me demandez ça à moi ? Je ne suis qu'un balayeur. En plus, c'est difficile de parler de l'Inde. En réalité, on ne peut la décrire qu'avec les phrases habituelles : c'est une autre planète, il faut y aller pour comprendre, on en est tout remué, les Indiens sont dingues, ce genre de choses... rien de bien nouveau.
Je n'en dirai pas plus sur les autres petites perles, situations hilarantes ou réflexions philosophiques  profondes, qui jalonnent constamment ce court roman d'à peine 160 pages. Toujours est-il que si vous cherchez l'habituel "petit bouquin sympathique, intelligent mais pas trop prise de tête" (Dieu que je hais cette préoccupation dominante des lectrices et lecteurs qui franchissent notre porte), n'allez pas plus loin, Le Japon n'existe pas vous tend ses pages.

vendredi 13 juillet 2012

Retour sur un livre évènement : Karoo, de Steve Tesich

Lauréat incontesté de la promotion médiatique et critique pour la littérature étrangère cru 2012, Karoo aura connu un destin étonnant. Sorti en mars dernier par la modeste maison d'édition Monsieur Toussaint Louverture, les derniers exemplaires sont aujourd'hui accompagnés des jaquettes où trônent louanges du Monde, du Figaro, des Inrockuptibles. Entre-temps une batterie de nos collègues aura assuré sa promotion dans la Grande Librairie en la dépeignant comme l'ultime capolavoro de la littérature américaine. Ajoutez à cela son statut d’œuvre posthume (première publication en 1998 aux USA, deux ans après la mort de Steve Tesich), le fait qu'il a été particulièrement difficile de se le procurer, tous les ingrédients sont là pour en faire un livre "culte" qui se mérite. Six mois après sa sortie, à notre tour de disséquer les entrailles de ce monstre de papier. 

Une fois n'est pas coutume, je vais rester assez succin sur l'intrigue en elle-même. Nous suivons, à la première personne du singulier, la trajectoire descendante de Saul Karoo, écrivaillon, coupeur/remonteur de scénario de films, pété de thunes, empêtré dans un divorce, impuissant à communiquer face à son engeance, prenant du ventre, insensible à l'alcool, pourrissant chaque relation humaine qu'il est amené à cultiver. Voilà pour le héros avec lequel nous devons créer une certaine empathie pendant ces 600 pages. Élément déclencheur : un nouveau boulot se pointe, et à la vision d'un véritable chef d’œuvre cinématographique qu'il se doit de charcuter en bonne et due forme, le rire d'une serveuse à l'écran lui rappelle la voix d'une jeune mère de quartoze ans qui lui confia son fils.

Karoo, quand bien même il manipule une multitude de thématiques, n'est ni un roman sur l'alcool, ni sur l'industrie cinématographique, ni sur l'amour, ni sur la famille. Karoo est un roman sur le vide, le Néant. Qu'advient-il lorsqu'on ne ressent plus rien, lorsqu'on a l'impression de ne plus rien ressentir, lorsque l'on se force à ressentir et tous les mensonges que l'on s'adresse ou que l'on impose aux autres dans cette profonde quête de sens. Que se passe-t-il quand on se rend compte que le seul personnage en vie autour de soi est soi-même, et que ce soi est bien peu réjouissant. Tout le roman fonctionne donc comme une déconstruction psychologique systématique de tous les stimuli du monde extérieur comme autant de signaux artificiels, par le biais d'un cynisme réjouissant sur les milieux huppés ou le monde du cinéma (que Steve Tesich maîtrise particulièrement). Il n'est guère étonnant que l'écrivain ait décidé d'employer l'outil de la lente et inexorable chute, le lecteur devenant le témoin privilégié de la déchéance et de la décadence morale d'un narrateur qui dévoile tous ses atermoiements intérieurs. 

Est-ce pour autant la merveille littéraire que l'on nous aura dépeint ? Je regrette que personne n'ait relevé les défauts objectifs de ce texte. Le premier handicap, qui n'est pas directement lié à la plume de Tesich, tient au timing éditorial. Le roman nous parvient en 2012, alors que pour l'apprécier pleinement nous aurions du l'avoir dès 1998. L'éditeur cite notamment Roth, Easton Ellis comme points de comparaison. Le problème c'est que chaque année depuis 1998, nous avons au moins un livre de chacun de ces deux auteurs, qui traite de de ces mêmes thématiques. N'oublions pas non plus que la grande fresque psychologique de Franzen, Freedom, est parue à l'automne dernier, et qu'il y a à peine un an, McEwan sortait son très sombre Solaire, qui dépeignait la même trame de décadence d'un personnage principal particulièrement détestable. Le souci avec Karoo, c'est qu'il est noyé dans une thématique battue et rebattue, parfois sur-utilisée jusqu'à la moelle. Pour tirer son épingle du jeu, il faut donc assurer au niveau du style. Et là encore, force est de constater que rien n'est transcendant à ce niveau non-plus. Non pas que ce soit mauvais, ne me faites pas dire ce que je n'écris pas. Mais qu'est-ce qui distingue la plume de Tesich d'un Roth ou d'un McEwan ? Le texte est révélateur des limites du style anglo-saxon contemporain, efficace mais peu original. On est très loin par exemple d'un Gonzalo M. Tavares, qui traitait exactement de la même chose, mais avec autrement plus de force et d'évocation métaphysique dans Apprendre à prier à l'ère de la technique. Heureusement que les 100 dernières pages du roman, clairement en rupture avec les 500 premières, offrent un final particulièrement intéressant, une fulgurance cosmique bienvenue, et qui rehausse clairement le niveau d'une intrigue dont chaque développement est bien trop prévisible et ne suscite à aucun moment le bouleversement auprès du lecteur.

Je dois peut-être concéder que mon goût pour la contradiction et de prendre parfois le contrepieds des tendances critiques a pris le pas sur les qualités objectives du roman. Le fait qu'il ne m'ait fallu que deux jours (dont un passé au festival d'Avignon) est un gage de la capacité d'attraction de ce texte qu'on ne lâche pas. Malgré tout, Karoo me semble bien être un cas d'école d'un engouement critique qu'il aurait fallu sévèrement nuancer, car, autant conclure sur ce constat, le roman posthume de Tesich n'est ni une prouesse, et certainement pas le chef d’œuvre qu'on nous aura vendu depuis le mois de mars.

vendredi 6 juillet 2012

Festival d'Avignon 2012 : la Gloire de mon père

Bonjour à toutes et à tous, 

je profite de ce billet pour vous signaler un pièce de théâtre,  à savoir la première mondiale de l'adaptation de la Gloire de mon père de Marcel Pagnol, présentée à Avignon. 
Préambule a rencontré la metteuse en scène et le comédien, et ne peut que vous conseiller leur travail, imprégné de passion, de sincérité et de grande fidélité au texte de l'écrivain. 


Allez, tous à Avignon !!


LA GLOIRE DE MON PÈRE
mise en scène STÉPHANIE TESSON avec ANTOINE SÉGUIN

lumières Florent Barnaud

Pour la première fois au théâtre,
le récit légendaire de Marcel Pagnol.

À la façon des conteurs, Antoine Séguin fait revivre les souvenirs de Marcel Pagnol,
en incarnant les meilleurs moments de cette œuvre au goût de bonheur et de liberté.
La Gloire de mon père, c’est un hymne à l’innocence et à la paternité,
qui garde une poésie, une fraîcheur, un humour pittoresques autant qu’universels.

Un élixir d’enfance éternelle !

Dans ces Souvenirs, ce n’est pas de moi que je parle, mais de l’enfant que je ne suis plus.
C’est un petit personnage que j’ai connu et qui s’est fondu dans l’air du temps.
Marcel Pagnol

dès 9 ans - durée 1h10
du 7 au 28 juillet 2012 à 13h15
Théâtre Les 3 soleils
4, rue Buffon - 84000 Avignon - tarifs : 17€ / 12€
réservations : 04 90 82 25 57 - www.les3soleils.fr <http://www.les3soleils.fr/>
www.laccompagnie.fr <http://www.laccompagnie.fr/>