lundi 30 avril 2012

Rencontre/Signature avec Sylvain Tesson

Rencontre avec Sylvain Tesson
C'est un peu le off du printemps du livre... Mardi 1 mai, c'est à dire demain, Sylvain Tesson au bar Le Port avec la librairie Préambule pour une rencontre - apéro - signature autour de son dernier livre "Dans les forêts de Sibérie. Février - Juillet 2010". Editions Gallimard, Prix Médicis essai 2011

Pour rassasier son besoin de liberté, Sylvain Tesson a trouvé une solution radicale : s'enfermer dans une cabane en pleine taïga sibérienne, sur les bords du lac Baïkal, pendant six mois. De février à juillet, il a choisi de faire l'expérience du silence, de la solitude, et du froid. Il a écrit un livre sur son expérience : Dans les forêts de Sibérie.
« Assez tôt, j'ai compris que je n'allais pas pouvoir faire grand-chose pour changer le monde. Je me suis alors promis de m'installer quelque temps, seul, dans une cabane. Dans les forêts de Sibérie.
  J'ai acquis une isba de bois, loin de tout, sur les bords du lac Baïkal. 
  Là, pendant six mois, à cinq jours de marche du premier village, perdu dans une nature démesurée, j'ai tâché d'être heureux. 
  Je crois y être parvenu. 
  Deux chiens, un poêle à bois, une fenêtre ouverte sur un lac suffisent à la vie. 
  Et si la liberté consistait à posséder le temps ? 
  Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d'espace et de silence – toutes choses dont manqueront les générations futures ? 
  Tant qu'il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu.»... /... « Le défi de six mois d'ermitage, c'est de savoir si l'on réussira à se supporter. En cas de dégoût de soi, nulle épaule où s'appuyer, nul visage pour se lustrer les yeux. Vivre en cabane c'est l'expérience du vide ! C'est apprend à peupler l'instant, à ne rien attendre de l'avenir et à accepter ce qui advient comme une fête. Le génie du lieu aide à apprivoiser le temps. »


Lu dans la presse...
« L'homme face à la nature… Un livre beau, sobre et dépouillé d'emphase. »
Dominique Fernandez, Le Nouvel Observateur
« Une expérience radicale, un texte magnifique. »
Christophe Ono-Dit-Biot, Le Point
« Peut-être le plus brillant de nos écrivains voyageurs. »
Jérôme Dupuis, L'Express
« Sylvain Tesson avance pour savoir ce qu'il a dans le ventre. »
Marie-Laure Delorme, Le Journal du Dimanche
« Un livre magnétique. »
Florent Georgesco, Le Monde
« Des sensations inédites, un récit précis et poétique. »
Pauline Delassus, Paris Match
"Dans les forêts de Sibérie. Février - Juillet 2010",  Editions Gallimard, Prix Médicis essai 2011


Mardi 1 mai, rencontre avec Sylvain Tesson à partir de 18 h au Bar du Port, 3, quai des Baux - Cassis
Nous vous attendons nombreux.
Rens.  : 06 60 02 05 03 / Preambule

Archanges : 12 histoires de révolutionnaires sans révolution possible


Fuyons la sinistrose qui a pesé sur ce week-end, car les grâces de la littérature accompagnent toujours avec bonheur le lecteur passionné. Si le Printemps du Livre de Cassis s’est révélé particulièrement décevant à plus d’un titre, un magnifique ouvrage m’a tout de même bercé pendant ces derniers jours. Si j’ai choisi le blog pour vous faire part de ce coup de cœur, c’est que le livre en question est une réimpression des éditions Métailié. Annonçons donc en grande pompe le retour sur nos étals d’Archanges : 12 histoires de révolutionnaires sans révolution possible, par le non moins fameux biographe du Che, Paco Ignacio Taibo II


Taibo II propose avec Archanges douze récits, d’hommes et femmes aux horizons divers, et nous emmène en Russie, en Allemagne, au Mexique, au cœur de la Guerre d’Espagne ou en Angola. Douze parcours dont le trait commun est d’avoir embrassé la cause révolutionnaire. Une révolution qui les a remerciés en leur livrant combats, souffrance et destin tragique. Archanges aurait tout aussi pu s’intituler « histoires populaires de la Révolution », puisque ces hommes et femmes partagent ce statut de semi-anonymes. Leadeurs ou précurseurs d’une cause, ils et elles sont en effet suffisamment connus pour que leur nom ait pu transpercer l’Histoire, ayant parfois laissé quelques écrits de leur expérience militante. Anonymes, ils le sont, car ils sont en retrait des Grands Hommes qu’ils ont pu côtoyer, et sont in fine condamnés par l’échec de leurs tentatives. Aux yeux de Taibo II, ils sont cependant tous suffisamment admirables pour les tirer hors des limbes mémorielles. Ce qu’il écrit à propos de Rivera vaut pour l’ensemble des douze.

On ne fait plus d’hommes comme lui. Les meilleurs d’entre nous ne sont que de pâles ombres à côtés du vieux Rivera. Nous devrions recouvrir cette tombe aujourd’hui disparue, cette tombe inexistante, d’une interminable pluie de fleurs rouges.
Heureusement qu’il reste l’histoire.
Heureusement qu’il reste la mémoire.

Une des premières qualités d’Archanges se trouve justement dans la démarche adoptée par Taibo II. Si l’on a en tête l’écrivain de polar ou le journaliste engagé, il ne faut pas non plus oublier que l’homme est aussi universitaire, et comme tous les historiens a cette passion de la recherche et du détail. On imagine Taibo II plongé au fonds des archives, épluchant les articles, à la recherche d’une miraculeuse photo ou d’une coupure de presse pour entériner un fait, ouvrir de nouvelles pistes, et restituer la vie d’hommes et de femmes que tout le monde a oubliés. Lorsque la difficulté devient trop importante pour l’historien qui n’a que de rares et épars éléments dans ses mains, l’écrivain entre en jeu et rajoute une flamme fictionnelle ou spéculative, varie les angles narratifs pour rendre un dernier hommage sans trop trahir le personnage célébré. Une admirable combinaison de précision historique et de nécessaire fiction narrative avec cette même démarche d’humilité pour rétablir dignité et honneurs à ces combattants.

Nous, les historiens, n’avons pas la possibilité de narrer des histoires comme celles-là. Nous savons bien qu’elles nous dépassent, que nous leur ôtons la vie en les racontant, que le seul lieu précis, exact, le réduit qui leur appartient, c’est cette vague chose que nous ne pouvons pas définir, mais dont nous savons tous qu’elle existe et que nous appelons la mémoire collective des peuples. Voilà son lieu, et c’est à lui seul que ces histoires appartiennent.

On aurait tort de faire de ce livre une simple apologie romantique de la Révolution. Un fil rouge lie ces différentes histoires qui sont d’ailleurs en résonnance avec la trajectoire singulière du Che. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elles se déroulent quasiment toutes à la même période, entre les années 1910 et 1930. Creuset des aspirations et du bouillonnement révolutionnaires, où les injustices et privilèges sont perçues de plus en plus intolérables, Taibo II insiste ainsi sur la légitimité et le courage des différentes tentatives, quand tout reste à faire et où l’échec est synonyme de mort. Cette effervescence a rapidement cédé le pas à une certaine désillusion, pour mieux s’incliner devant une nouvelle oppression : la révolution institutionnalisée dont les premières mesures ont toujours été de briser ces militants de l’action, indépendants et parfois irréfléchis. Par le destin funeste des révolutionnaires russes ou allemands de la première heure, Taibo II règle indirectement ses comptes avec le stalinisme et le bureaucratisme totalitaire qui ont étouffé à partir des années 30 ces velléités de soulèvement collectif et égalitaire. Ce n’est pas un hasard si les douze sont si étrangers ou réfractaires à la glose marxiste ou léniniste, à tout travail théorique qui abstrait jusqu’à désubstantialiser l’impératif de leur lutte, à toute position officielle dans une administration synonyme de compromission. En somme, ces archanges personnalisent et incarnent à leur manière l’idéal de leur cause, la Révolution pure et immuable, avant que d’autres hommes ne la pervertissent et ne la décrédibilisent durablement.

Il est certain que ce livre n’est pas destiné à tous les lecteurs, car il est idéologiquement marqué et tout le monde ne peut pas être sensible au choix de vie des douze protagonistes. Pour tous les autres, si comme moi vous l’aviez ignoré en 2001, il faut se ruer sur ce bijou, passionnante étude littéraire et émouvant testament politique. Merci à Paco Ignacio Taibo II d’avoir sorti du néant ces anonymes, et par là même occasion de les avoir immortalisés.

dimanche 29 avril 2012

Merci, François Bégaudeau

Je préfère annoncer la couleur pour ce billet qui tiendra plus d'un jet de colère qu'autre chose. Je tiens à signer ce billet personnellement, en tant qu'Adrien, simple employé Préambule, sans engager collectivement la librairie, sachant que François ou Claudine ne partagent certainement pas l'acidité de ce qui va suivre.

Depuis le samedi 28 avril, se déroule à Cassis la 24ème édition du Printemps du Livre, manifestation littéraire relativement célèbre, et qui n'a en tout cas pas à rougir au regard des célèbres écrivains qui y ont participé. En tant qu'unique librairie cassidaine, nous sommes (je ne dirais pas naturellement, mais au moins logiquement) associés à l'évènement, en vendant les ouvrages des conférenciers, tout en organisant une table de signatures. Traditionnellement, le Printemps du Livre a lieu le dernier week-end d'avril et le premier week-end de mai, et en ce soir de dimanche 29 avril, je tenais à partager les vives émotions qui m'ont animé.

Les protagonistes de cette histoire ? Et bien la quasi-totalité du parterre d'écrivains qui ont inauguré cette 24ème édition : Tonino Benacquista, Pascal Bruckner, Eric Fottorino, Delphine de Vigan et Morgan Sportès. A l'image de la complexe chaîne du livre, rarement l'éloignement de l'auteur et du libraire n'aura été à ce point criant. Pour dire les choses plus prosaïquement j'ai eu peu d'occasions de constater une telle incivilité de la part d'une catégorie d'individus. Pas une, et je n'exagère rien, pas une des personnes susnommées n'est venue nous saluer, nous, humbles libraires. Bien évidemment, nous ne prétendons pas, dans le cadre d'une éphémère rencontre littéraire, entrer dans l'intimité de nos hôtes estimés, échanger nos numéros de téléphone dans la promesse d'un futur dîner pour refaire le monde des livres. Je suis un jeune libraire, mais j'ai passé l'âge de la naïveté. Par contre, je ne pense pas qu'un simple "Bonjour !", ou un innocent "Comment ça va ?", ou même un laïus inespéré sur la météo ou sur la beauté de notre village méditerranéen, soient hors de portée de nos prestigieux lettrés de la capitale. Ah, mais voilà que point dans mon discours le célèbre antiparisianisme de ces envieux de provinciaux ?  

Non, bien sûr... enfin, pas tout à fait, tant les écrivains ont versé d'eux-mêmes dans le cliché. Que Morgan Sportès suinte son orgueil de vieil écrivain pseudo-classique, soit. Mais qu'il nous évite un "Voyez comme je vous aide à vendre", après avoir fourgué un de ses poches à un innocent passant, cinq minutes avant de s'engouffrer dans son taxi. Il fallait peut-être ça pour oublier un après-midi de disette où la foule a magnifiquement ignoré son chef d'oeuvre construit autour d'un sordide fait divers. Que Pascal Bruckner exhibe sa nouvelle conquête, bien évidemment plus jeune et attirante que lui, pour mieux ignorer tout ce qui l'entoure, soit. Mais qu'il nous épargne également des comportements dignes du dernier des Bourbons, intimant à sa compagne d'attendre Paris pour acheter un livre (peut-être sera-t-il offert là-bas ?), et se présentant par un lapidaire "C'est où la salle ?". Sa seigneurie Bruckner, peut-être écorné par les maigres ventes à Cassis de ses inepties anti-écolo, nous aura tout de même gratifié d'un distant "Au revoir" lâché du bout des lèvres, saluant les gueux du livre avant de retourner dans son confort parisien. Que Fottorino nous sauve le week-end avec "Tout son monde", soit. Mais sommes nous à ce point invisibles pour ne mériter aucune parole ou sourire ? Que Delphine de Vigan regarde la plèbe du haut de ses prix littéraires, soit. Mais est-ce que ces succès bâtis sur l'exhibitionnisme facile et familial (et un battage médiatique particulièrement accommodant) l'exonèrent de la plus sommaire des règles de savoir-vivre ? J'adresse une mention spéciale à son compagnon, l'influent et omniprésent François Busnel, lui aussi présent pour l'occasion. Le présentateur de "La Grande Librairie" ne fait visiblement que peu de cas de ses petites, indépendantes, et certainement moins médiatiques, consœurs. Si Busnel a la charité d'accorder quelques minutes dans chaque émission à nos méritants camarades, son sens de l'humanité ne lui commande pas d'entamer le dialogue avec un libraire quand il a l'occasion d'en voir un. 

Je ne sais comment interpréter ces entorses aux règles comportementales les plus élémentaires, que les plus jeunes de nos clients doués du langage respectent pourtant dès lors qu'ils passent notre porte. Le mauvais voyage en première classe ? Une désagréable nuit dans le plus luxueux des hôtels cassidains à la vue imprenable sur la mer ? Je préfère miser sur cette satanée météo, particulièrement pernicieuse en cette fin de mois d'avril, alternant le vent et la pluie, le chaud et le froid, et qui n'a sans doute pas satisfait les attentes de nos stars littéraires, toutes lunettes fumées au dehors, et à qui on avait dû vendre un Sud de la France ensoleillé et doux. Plus sérieusement, mon amertume ne peut se retenir, parce que malgré les distances, géographiques, sociales et symboliques, nous faisons partie du même monde. Si une librairie telle que Préambule n'est pas un plateau télé, elle n'en reste pas moins un lieu essentiel au partage de la culture. Nous lisons les livres (pas tous, bien sûr), nous les conseillons (pas tous, bien sûr), nous donnons l'envie de les lire, nous échangeons autour des écrivains et de leurs œuvres, nous convainquons les indécis ou les réfractaires. Il me semble que l'actualité incitait aussi à l'échange, autour de cette contestée et contestable hausse de la TVA, qui impacte tant la chaîne du livre. Les difficultés des uns seront les difficultés des autres, au même titre que nous sommes liés par un même amour, et, ne nous voilons pas la face, par le même intérêt. Apparemment, en matière de culture, la célèbre maxime chiraquienne s'applique : "ça en touche une sans bouger l'autre".

Pour terminer, je ne dirai que ceci : merci François Bégaudeau, merci à lui, à sa disponibilité et grâce à qui nous avons pu, un court temps, communier dans la passion commune qui nous habite. Merci François Bégaudeau pour avoir été un simple être humain ce samedi 28 avril.

Adrien

lundi 23 avril 2012

L'extrait du jour : Dernières nouvelles du Sud, de Luis Sepulveda

Dernier coup de coeur en date de la librairie, je vous propose aujourd'hui un extrait des Dernières nouvelles du Sud, de Luis Sepulveda. Pour resituer ce passage dans son contexte, les deux compères séjournent chez une vieille dame de la Patagonie, dona Delia, (les photographies prises à l'occasion par Mordzinski sont d'ailleurs sublimes), et Sepulveda écrit avec un certain plaisir comment elle a symboliquement mis en échec l'impérialisme américain, en la personne de Sylvester Stallone. 

Les Benetton prétendaient apporter le progrès dans la région. Ils y ont apporté les clôtures en fil de fer barbelé, empêché la transhumance des gauchos et des rares espèces sauvages encore existantes, imposé des bornes absurdes dans une région où le ciel et la terre sont les seules limites. Ted Turner, le millionnaire créateur de CNN et président du groupe multimédia AOL-Time Warner, a suivi l'exemple des Benetton et, à cette liste, est venu s'ajouter un type petit, aux muscles gonflés aux stéroïdes et dont l'intelligence avait impressionné un intellectuel appelé Ronald Reagan : Sylvester Stallone. 
Pour définir la capacité des armes on parle de pouvoir de destruction. Pour définir la capacité de destruction de certains hommes il faut parler de pouvoir d'achat. Celui de Rambo visait précisément les terres où dona Delia vivait sa longévité féconde aux côtés de son chien, de ses moutons, de ses herbes miraculeuses, de ses fleurs aux parfums sauvages et de ses fruits aux saveurs séculaires et sacrées. 
Malgré son terrible pouvoir d'achat, paradigme de la volonté - non pas au sens où l'entendait Nieztsche mais du point de vue des jobards de Hollywood -, Stallone n'a pas cependant pu acheter. Et ce n'est pas faute d'en avoir eu envie. Il arrive parfois que l'excès de soumission face aux puissants déclenche les mécanismes de résistante qui donnent sa dignité à l'espèce humaine. Le prix fixé par les autorités argentines pour cette portion de la Patagonie était si ridiculement bas qu'un groupe d'éleveurs leur a suggéré de ne pas se montrer aussi complaisantes face aux acheteurs étrangers. 
Naturellement, le gouvernement argentin ne leur a pas répondu mais, par hasard, un hebdomadaire français, Le Nouvel Observateur, a publié dans son édition du 5 mars 2003 une information inquiétante qui a échauffé encore davantage les esprits : le gouvernement argentin étudiait la possibilité de donner la Patagonie aux Etats-Unis en échange de l'annulation de l'énorme dette contractée auprès du Fonds monétaire international. 
La nouvelle a couru de pulperia en pulperia, de foyer en foyer, et agriculteurs, éleveurs et écologistes ont organisé un tel remue-ménage que l'affaire n'a pas pu se concrétiser. 
C'est ainsi que Rambo, l'invincible guerrier, capable d'étriper des milliers de Viêtnamiens, d'abattre en Afghanistan des hélicoptères russes à coups de pierre en luttant aux côtés des talibans, a été vaincu par une petite vieille presque centenaire ayant pour seule arme l'amour de la terre. 
C'est le genre de choses qui arrivent, là-bas, en Patagonie. Et ça, c'est vraiment une histoire qui finit bien.