jeudi 10 mai 2012

Carnet de Corée, de Serge Delaive

Dernière parution de l'excellente et courageuse maison d'édition La Différence, il me tenait à coeur de relater Carnet de Corée, de Serge Delaive, court texte qui fait écho à quelques titres littéraires sortis en 2012, notamment le somptueux Dernières nouvelles du Sud du chilien Sepulveda. Nous restons ici dans la thématique du carnet de voyage, agrémenté là encore de nombreuses photographies, même si dans le cas présent narrateur et photographe ne font qu'un. 

L'exercice est aussi différent car Delaive ne retranscrit pas un, mais trois voyages en Corée (1999, 2004, 2009), qui s'entremêlent en permanence dans ses courts textes, chacun jouant sa propre mélodie tout en respectant l'harmonie globale de l'ouvrage. Le rapport à la Corée s'impose au narrateur qui a épousé une femme d'origine coréenne, adoptée en Belgique, et qui s'est lancé en 1999 à la recherche de sa véritable mère. Dix ans plus tard, ils y retournent, mais accompagnés cette fois de leurs deux enfants pour leur faire toucher du doigt leurs origines et leur faire rencontrer l'autre famille, biologique mais si lointaine. C'est dans cette double relation, à la fois charnelle (par sa compagne) et tellement étrangère (il est Belge), que se joue une intéressante découverte. Toute personne ayant voyagé, sait rapidement quelles sont les barrières qui s'imposent à l'intrus, néophyte culturel et linguistique. 

"Le voyage. Se retrouver dans un endroit dont on ne pratique ni la langue, ni l'alphabet et se laisser aller dans la musique des sons humains. Un mutisme provisoire et salutaire. Parvenir malgré tout à communiquer en profondeur à l'aide des intonations, du regard, des signes. Du toucher parfois. Scruter les dessins de lettres, de mots indéchiffrables et parfaits. Le voyage. Le mouvement qui fait sens, l'immobilité au regard perçant. Le voyage en tant que radicalité contradictoire : à la fois en apnée dans le monde et aux marges d'un monde inaccessible. A l'extérieur complètement, en absence, mais en même temps là, tellement là. L'expérience de la solitude entre douleur et extase. Quand ouverture rime avec barrières infranchissables."
C'est à travers un homme, voulant tellement comprendre mais comprenant peu, touriste non-ordinaire mais soumis aux même contingences, que nous arpentons ce pays. Les textes sont souvent courts, et s'attachent à décrire les différentes étapes, les paysages et les villes, les réactions de son entourage, les personnes qui s'offrent à sa vision, les sentiments qui habitent la famille. Quand les facultés auditives se révèlent impuissantes, c'est l'oeil seul qui prend le relais pour faciliter l'initiation aux mystères de la Corée. Le souci du détail, de la description pure sans emphase stylistique pour restituer le plus fidèlement possible ce qui s'offre à la vue du voyageur, même si cela implique de rester à un irrémédiable niveau de superficialité.

"Lignes superficielles, je le sais. Voyageur de passage qui effleure la surface, sens en éveil, mais qui ne peut entendre les rouages d'un monde ancien. Occidental en goguette, naïf, qui note au vol ce qu'il saisit à l'avant-plan d'un tableau dont la perspective atteint une profondeur inouïe."
Conscient de ses limites, Delaive s'essaye peu aux considérations ethnologiques ou sociologiques. Tout juste quelques observations géopolitiques, quelques phrases sur le double-visage de la Corée entre modernité occidentale et traditions asiatiques, quelques indications de vocabulaire. Posture habituelle du voyageur s'intéressant au pays d'une personne proche, mais dont les connaissances ne permettent pas d'aller plus loin. Les photographies qu'il prend sont symptomatiques de la chose. Rarement époustouflantes ou "cartes postales", jamais "touristiques" où l'ego du voyageur est sanctifié au détriment du pays qu'il visite, elles sont ses mêmes impressions du quotidien, de l'environnement du voyageur et ce sur quoi son oeil s'est attardé. En somme le complément visuel  fidèle à la tonalité de ce qui est écrit.

Derrière ce carnet de voyage quelque peu déstructuré, se joue cependant un drame humain. Au-delà des "naïves" descriptions d'un Occidental à demi-perdu, il y a l'attention toute particulière d'un homme soutenant sa femme qui renoue avec toute une partie de son passé. Retrouvailles avec la mère biologique, échanges, puis départs et déchirures, Delaive est surtout le témoin discret de bouleversements émotionnels profonds qu'il restitue sans surcharge de pathos, sans exhibitionnisme outrancier.

"Sandra lâche les vannes. Des larmes amères et joyeuses. Des larmes de vie. J'observe la leçon que je n'apprendrai jamais. Je ne suis pas là."

Difficile de conseiller cet ouvrage singulier. Pas de défauts majeurs dans ce Carnet de Corée, mais quiconque recherche l'incongruité du voyage et de ses péripéties, la description fouillée d'un mode de vie "exotique" ou encore une proposition littéraire qui sort de l'ordinaire, sera certainement déçu. J'ai été touché, c'est incontestable, mais probablement car mon propre parcours est en résonance avec ce texte. Ce qu'a vécu le narrateur, je l'ai expérimenté, quoique dans un contexte autre. Peut-être en est-il ainsi avec ce Carnet de Corée, destiné à tous les observateurs silencieux de leçons qu'ils n'apprendront jamais.  

1 commentaire:

  1. Un grand merci pour ce très bel article qui rend hommage à un très beau livre que nous sommes très fiers d'avoir publié.
    Daphnée Gravelat pour les Editions de la Différence

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